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espèce de figue de la côte du Coromandel[1], à la bourse que portait le trésorier des apôtres et de leur maître. Peut-être son nom (arvulu di Giudeo) a-t-il décidé le peuple à le nommer arvulu di Guida. Les sorcières se plaisent sous les branches de cet arbre, et si quelqu’un en tombe, il est sûr de se tuer.

L’origine et la couleur des végétaux peuvent aussi influer sur l’opinion qu’on s’en fait. « Du campa qui croît sur les tombeaux, disent les Hindous, on doit éviter de s’approcher. » La reine des fleurs de l’Inde devient ainsi suspecte. Les plantes aux couleurs sombres devaient être préférées du sinistre souverain des ténèbres, Angra-Mainyou. Macrobe cite le témoignage de Veranius, qui dît que les arbres blancs produisant des fruits sont heureux (felices), tandis que les arbres noirs sont des arbres de malheur. Le grand poète russe Alexandre Pouchkine a, en décrivant l’antchar de l’Inde[2], exprimé avec vigueur l’opinion qui attribue un aspect sinistre aux plantes vénéneuses : « Dans un désert aride et stérile, sur un sol calciné par le soleil, l’antchar, tel qu’une vedette menaçante, se dresse unique dans la création. La nature, dans ces plaines altérées, le planta au jour de sa colère, abreuvant de poison ses racines et la pâle verdure de ses rameaux. Le poison filtre à travers son écorce en gouttes fondues par l’ardeur du midi ; le soir, il se fige en gomme épaisse et transparente. L’oiseau se détourne à son aspect, le tigre l’évite ; un souffle de vent courbe son feuillage ; le vent passe, il est emporté. Une onde arrose un instant ses feuilles endormies, et de ses branches tombe une pluie mortelle sur le sol brûlant[3]. »

L’imagination des peuples a créé de tels arbres, dont l’ombre seule peut donner la mort. On sait à quelles exagérations a donné lieu le mancenillier (hippomane mancenilla), dont on disait aussi qu’il suffit « que l’onde arrose un instant ses feuilles pour qu’une pluie mortelle tombe de ses branches. » L’inoffensif tamarin, suspect aux Siciliens, ne semble pas avoir une meilleure réputation chez les Hindous, puisqu’ils le nomment yamadûtikâ (messagère de Yama, dieu de la mort). L’if, dont le feuillage passait pour vénéneux, le noyer, dont les émanations nuisent aux animaux comme aux végétaux, sont suspects en Europe. Le sombre cyprès qui s’élance vers le ciel symbolise à la fois la mort et la vie. Dans les carmina popularia Grœciœ recentioris de Passow, le corps de l’amante produit un cyprès sur sa tombe, et le corps de l’amant malheureux un roseau. Ces transformations ne se rencontrent

  1. Viaggio all’ Indie orientali, IV, 9, par le P. Vincenzo di Santa Catarina.
  2. M. de Gubernatis suppose qu’il s’agit peut-être de l’ativishâ, la plante « très vénéneuse. »
  3. Traduction de Mérimée.