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il faut tourner les pointes vers le septentrion et vers l’occident. On arrose le tout d’eau de riz et d’orge, en invoquant Agni, dieu du feu, pour qu’il ne descende pas sur la maison qu’on va bâtir.

Malheureusement les armes offensives ne manquent pas plus parmi les (herbes que les armes défensives. Ainsi les voleurs russes savent très bien que la rariv-trava, aussi puissante que le fameux sésame des Mille et une Nuits, ouvre toutes les serrures[1]. Elle fait ainsi autant de mal que « l’herbe d’Hercule » rendait de services aux contemporains d’Apulée. S’il existe uns herbe de mémoire, il s’en trouve qui la font perdre, comme le lotus, qui effaçait chez les héros de l’Odyssée tout souvenir de la patrie. « Une fois que je m’étais égaré dans un bois, en Normandie, que je connaissais pourtant assez bien, — c’est M. Baudry qui parle, — un paysan me dit : « Ce n’est pas étonnant vous avez sans doute pétillé (marché), sur quelque mauvaise herbe[2]. » Cette plante est connue dans la Suisse française comme au Piémont, fait constaté par Mme de Gasparin et M. Bertolotti. Les exemples qu’il serait aisé de multiplier achèveraient de prouver que le dualisme est la loi du monde végétal, et que dans la « lutte pour d’existence » les plantes peuvent devenir de précieux auxiliaires ou des adversaires redoutables.


III

« La fleur, dit Porta, dans l’intéressant ouvrage intitulé Phytognomonia, publié à Naples à la fin du XVIe siècle, est dans la plante ce que l’œil est dans l’homme (respondel flos oculo). Elle est la radieuse manifestation de la puissance de la vie et de la lumière. Tel est bien le sens qu’elle a dans les mythes de l’Inde. Dans les cosmogonies, le splendide lotus, bleu comme l’azur des deux, apparaît sur les eaux primitives comme une fleur de vie et de lumière. Dans le monde supérieur, l’étoile elle-même ne semble pas d’une autre nature ; ne dirait-on pas une fleur du céleste jardin ? La fleur est donc restée pour l’Inde le type de tout ce qui rayonne, de tout ce qui éblouit et charme les regards des mortels : « Chère, dit la poésie, comment le Créateur, qui forma tes yeux avec le lotus bleu[3], ton visage avec le nymphéa[4], tes dents avec les jasmins, tes lèvres avec des boutons de rose, tes membres avec

  1. Markevitcb, Obicai, page 86.
  2. Mélusine, n° 1.
  3. Nymphœa cœrulea.
  4. Nymphœa alba. — On sait qu’on a comparé la plus admirable des nymphcacées, la Victoria regia, à la souveraine des Anglais, parce qu’elle est la reine des lacs, comme Victoria est la reine des mers.