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Canning s’en tint à quelques remontrances sur la forme ; son but était atteint. En présence du mauvais vouloir évident de L’Angleterre et du langage menaçant des États-Unis, la sainte-alliance renonça, à son projet. James Monroe avait bien mérité de son pays. En 1803, ambassadeur en France, il avait signé le traité d’acquisition de la Louisiane ; en 1819 il avait négocié l’achat de la Floride à l’Espagne moyennant 25 millions de francs, et il terminait sa deuxième présidence par une déclaration dont ses successeurs devaient tirer des conséquences que l’Angleterre ne prévoyait pas alors.

C’était en effet tout un programme de politique extérieure que James Monroe venait de tracer aux États-Unis. La jeune république entrait dans une phase nouvelle. Quarante ans seulement s’étaient écoulés depuis le jour où le parlement anglais déclarait ennemi public quiconque conseillerait, à George III de continuer la guerre contre les colonies insurgées. En Amérique, on était trop près de ces temps glorieux pour que le souvenir s’en fût affaibli ; on en était assez loin pour avoir pansé les plaies, restauré les finances, organisé l’administration, mesuré la tâche et les forces du nouvel état qui affirmait, après son indépendance, sa prépondérance dans le Nouveau-Monde. Les États-Unis s’estimaient déjà, et non sans raison, les représentans de l’idée républicaine, de la liberté des peuples, du droit absolu de self-government. Ils appliquaient à l’étude et à la solution des problèmes qui s’imposaient à eux le génie ; pratique, la volonté obstinée de la race anglo-saxonne, et aussi l’ardeur d’un peuple jeune, maître incontesté d’un continent encore inexploré, riche et fertile, et, comme son ambition, sans limites connues.

La décadence de l’Espagne, l’affranchissement de ses colonies, l’adoption par elles de la forme républicaine, étaient autant de succès pour les États-Unis. Une fois de plus l’Angleterre et l’Europe acceptaient les faits accomplis et donnaient au langage du président Monroe une consécration publique. L’Amérique aux Américains devenait le mot d’ordre, et déjà l’on affirmait que les frontières naturelles de l’Union s’étendaient du pôle à l’équateur, de l’Atlantique au Pacifique. Tel était le but assigné aux efforts des générations futures, la manifest destiny de la république américaine.

De cet immense territoire, elle n’occupait encore qu’un espace restreint. L’Amérique russe et le Canada la bornaient au nord. Dans l’ouest, de vastes prairies, peuplées par les Indiens, s’étendaient jusqu’au Pacifique. Au sud, le Mexique et l’Amérique centrale, républiques sœurs, mais séparées d’elle par des différences profondes ? de race et de religion, élevaient des barrières difficiles à franchir. Sa population, qui dépasse aujourd’hui, le chiffre de 40 millions,