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atteignait à peine celui de 10 millions. Mais on était soutenu par la foi dans l’avenir, et l’histoire des cinquante dernières années justifiait toutes les impatiences, autorisait toutes les présomptions. Cette Angleterre qui depuis, tenant tête à Napoléon, vainqueur de l’Europe, était devenue la première puissance du monde, on l’ayait fait reculer, et en ce moment même un message du président au congrès paralysait les intrigues de la sainte-alliance et affranchissait l’Amérique méridionale. L’heure était venue d’oser ; l’audace conduisait au succès, et la politique annexionniste, inaugurée par James Monroe, devait, favorisée par des circonstances particulières, diriger les affaires extérieures des États-Unis et réaliser par la diplomatie et par les armes les rêves les plus ambitieux.


II

Nos historiens européens sont rarement impartiaux vis-à-vis des États-Unis. Détracteurs acharnés ou admirateurs fanatiques, ils cherchent surtout dans l’histoire de l’Union américaine des argumens hostiles ou favorables à la forme républicaine. En France, sous le second empire, cette histoire a été une mine inépuisable d’articles ingénieux, de critiques fines et acérées contre les allures autoritaires du pouvoir. Depuis, les partisans d’une restauration monarchique en ont fait le texte de commentaires sur la corruption électorale, la désorganisation sociale et l’anarchie. Mais c’est peut-être dans l’examen de la politique extérieure des États-Unis que les appréciations les plus passionnées se sont fait jour. Pour les uns, les tendances annexionnistes n’étaient que l’application d’une idée généreuse. Les autres n’y voyaient qu’une politique de convoitises, brutale et violente envers les faibles, cauteleuse et prudente vis-à-vis des forts, toujours avide et toujours dédaigneuse des engagemens pris. Là où certains historiens n’admettaient qu’une force d’expansion irrésistible, que la loi fatale d’une sorte d’attraction magnétique, leurs adversaires signalaient l’existence d’une loi non moins fatale, particulière aux républiques, la propagande par le brigandage et l’annexion par la violence.

La cause véritable était ailleurs, dans l’organisation intérieure du pays et dans l’institution de l’esclavage. La politique annexionniste des États-Unis n’a pris son point de départ ni dans une idée de propagande, ni dans cette ambition démesurée qui entraînait Rome à voir dans tout voisin un ennemi et à reculer indéfiniment les limites de son empire. L’histoire de l’Union américaine ne date pas de 1783, mais de 1620. En 1783, des treize colonies insurgées, une seule, le Massachusetts, ne possédait pas d’esclaves, et si les