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sortir, par voie de libre suffrage, la subordination des gouvernés aies gouvernails ; M. Bluntschli, lui, présuppose cette subordination, comme si, selon la vieille théorie du droit divin rajeunie par M. Renan, certains hommes naissaient naturellement gouvernants et d’autres naturellement gouvernés. En même temps, M. Bluntschli et M. Renan oublient que la division du travail entre tes gouvernails et les gouvernés ne constitue pas une inégalité réelle, pas même une inégalité politique, car chaque citoyen, d’un état libre est tout ensemble, selon la pensée de Rousseau, gouvernant et gouverné, auteur de la loi et soumis à la loi. Il n’y a donc dans l’idéal proposé à la société par l’école philosophique aucune pétition de principe.

La dernière objection de M. Bluntschli est d’un juriste habitué aux subtilités de la dialectique. « L’erreur fondamentale, dit-il, c’est de faire contracter des individus. Les contrats des individus peuvent bien créer le droit privé, jamais le droit public. Ce qui appartient à l’individu, c’est sa fortune, sa propriété ; il peut eu disposer, en faire l’objet d’un contrat. Mais les contrats ne peuvent avoir un objet politique que s’il existe déjà une communauté supérieure à l’individu ; car un objet politique n’est pas la propriété des individus, mais le bien public de la communauté. » Autant qu’on peut saisir cette métaphysique un peu vague, M. Bluntschli veut dire que l’état et même le droit politique préexistent non-seulement en fait, mais rationnellement, aux citoyens. Il l’affirme d’ailleurs sans en donner la preuve. « L’individu, dit-il, ne peut disposer par contrat que de sa fortune et de sa propriété ; » mais l’individu dispose-t-il réellement d’autre chose dans les contrats relatifs à la constitution de l’état et du gouvernement ? N’est-ce-pas ma fortune, ma propriété, ma liberté qui est intéressée à ce que je ne reçoive pas toute faite une loi à laquelle je n’aurais en rien contribué ou à laquelle je ne pourrais rien changer ? Toute question de droit poétique ou public ne se résout-elle pas pour chacun en une question de droit personnel qui intéresse à la fois la fortune, la propriété, la liberté de chaque citoyen ? Qu’est-ce que cet « objet politique » qui ne serait pas la propriété des individus ? Pour qu’il soit le « bien public » de la communauté, il faut qu’il soin en même temps le bien de chacun, que chacun l’accepte et y donne, son consentement formel ou implicite, réel ou supposé. Veut-on dire simplement que tout citoyen naît de fait dans un état déjà formé et avec des engagemens implicites à l’égard de ses concitoyens ? Encore une fois nul ne le conteste ; mais la vraie question de droit est de savoir si l’état idéal ire serait pas celui où l’individu, une fois majeur, ne trouverait rien qui lui fût imposé par force, pas même Se lien national, l’état où il pourrait rester et d’où il pourrait, toutes dettes payées et toutes obligations remplies, sortir à son gré. Au reste c’est