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Reste, répétons-le, la théorie du contrat n’est pas responsable des erreurs ou des inconséquences de Rousseau, qui sont elles-mêmes des infidélités à cette théorie. En somme, ce que nous abandonnons à l’état, ce ne sont pas nos droits, mais une part de notre travail et de nos produits en retour de sa protection. Il n’y a donc là qu’une simple division du travail et un échange de services. L’état ne confisque aucun droit, il les garantit tous.


III

C’est encore le principe du contrat, qui va nous permettre de résoudre la question si controversée du but et des attributions de l’état. Pour quelle fin les individus contractent-ils et s’engagent-ils à observer des lois communes ? — D’une manière générale, ce ne peut être que pour sauvegarder leurs droits et augmenter leur puissance, — puissance matérielle, intellectuelle et morale. La conservation de tous et le progrès de tous, tel est donc l’objet du contrat social et par conséquent le but de l’état. Reste à savoir par quelles attributions il devient capable d’atteindre ce but. On peut se figurer différens types de l’état selon les diverses fonctions qu’on lui confère, depuis l’état juge et gendarme jusqu’à l’état protecteur des arts, des sciences et de la civilisation. Ces divers types se ramènent à quatre principaux. Kant, Fichte et Guillaume de Humboldt ont restreint les attributions de l’état à ce qu’ils nomment la « sûreté du droit » et conçu ainsi un premier type d’état, l’état purement juridique, « l’état de droit, Rechtstaat. » La volonté générale, la volonté de l’état, dit Fichte, ne veut qu’une chose, la sûreté des droits de tous[1]. Guillaume de Humboldt réduit de même « l’action et le but de l’état au maintien de la sécurité intérieure et extérieure. » C’était là une réaction contre les empiétemens et les tracasseries de ce qu’on appelait « l’état policier Polizeistaat. » M. Bluntschli objecte à cette doctrine si favorablement accueillie en Angleterre sous le nom d’individualisme, qu’elle supprime la vie publique au profit de la vie privée et fait de l’état un simple moyen au service de l’égoïsme individuel. Selon nous, cette objection de M. Bluntschli rapetisse et restreint plus qu’il n’est juste la conception de l’état de droit. En effet, si l’homme a des droits, on ne peut dire que ce soit uniquement en vue de sa. vie privée et dans la vie privée ; donc, en admettant même que l’état eût pour unique but la protection des droits, il serait encore protecteur de la vie sociale, qui est le milieu où ils s’exercent. Autre chose est de s’imaginer que tout droit est privé, relatif à la vie privée, à l’égoïsme individuel (ce que ne prétendent ni Kant ni Fichte) ; autre chose de

  1. Naturrecht, III, 52.