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échanges et transactions s’y multiplient et que toute transaction est un concours de libertés. Chaque fois au contraire que des guerres ou des menaces de guerre interviennent, on voit reparaître les caractères du type militaire. Nulle part ces métamorphoses ne sont plus frappantes qu’en Angleterre. M. Spencer fait remarquer que la grande transformation du gouvernement britannique dans le sens libéral a pris place dans la longue période de paix qui date de 1815. Il se plaint de ce que, depuis l’avènement de Louis-Napoléon, une ère moins pacifique ait été inaugurée : « L’Angleterre a dû prendre part à la guerre de Crimée, réprimer la révolte des Indes, faire des expéditions en Chine et en Afrique ; les dépenses pour l’armée et la marine se sont accrues, on a organisé des corps de volontaires, on a institué des manœuvres d’automne ; l’esprit de conquête s’est réveillé, on a accompli ou projeté des annexions en Océanie et en Afrique, on a songé à occuper l’Égypte. En même temps, la centralisation et la réglementation se sont développées ; on a placé des militaires à la tête de la police métropolitaine et provinciale, à l’administration des travaux publics et à la direction des beaux-arts. Les télégraphes, établis par l’initiative privée, sont devenus une agence de l’état ; on parle de racheter les chemins de fer aux compagnies. Le système préventif se substitue partout au système répressif… Des fonctionnaires de plus en plus nombreux contrôlent les actions de l’individu, et l’état lui prend son argent pour lui procurer des avantages que précédemment chacun se procurait à sa guise. On voit ainsi toute la vie sociale rentrer sous une discipline coercitive à mesure que l’activité guerroyante recommence à prédominer. » Que serait-ce donc, ajouterons-nous, s’il était vrai, comme l’a dit un maréchal prussien, « que le temps n’est pas loin où toutes les nations auront à lutter pour leur propre existence ? » Quelque incontestables que soient ces périodes de retour au type militaire et autoritaire, elles ne sont que transitoires, et la marche générale de la société a évidemment pour sens le développement des transactions et des échanges, leur extension à toutes les affaires intérieures ou extérieures. Or, qui dit transaction dit contrat, et nous arrivons ainsi à une nouvelle confirmation de ce que nous avions précédemment établi : le libéralisme accompagne le développement de la justice contractuelle, dont l’industrie et le commerce ne sont que l’application la plus extérieure et la plus facile, mais qui étendra progressivement son empire à toutes les relations des hommes entre eux.

Un autre philosophe anglais, qui est en même temps un jurisconsulte éminent et un historien du droit, M. Sumner Maine, arrive à des conclusions analogues et encore plus explicites par l’étude de l’évolution qui s’est produite dans le droit positif lui-même. Selon