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se souvenir que le sort de l’Europe orientale n’est pas fixé au XIVe siècle. L’Occident a des cadres naturels faits pour recevoir des nations et des nations y ont vécu. Isolées d’abord, puis confondues dans l’empire romain, séparées après l’invasion des barbares et réunies sous le sceptre de Charlemagne, pour être encore séparées au IXe siècle, elles ont derrière elles un long passé historique et de communs souvenirs. Si l’on veut étudier leur histoire, on doit remonter jusqu’à Charlemagne, mais aussi chercher ce qui a survécu des lois de Rome : débris confus et pierres détachées d’une grande ruine, sur lesquelles la royauté française bâtira l’avenir de la France. Ce fut la fortune de l’Occident que d’avoir dans son passé Rome et Charlemagne. Au contraire l’Orient n’est point articulé ; sur le terrain vague qui s’étend de l’Elbe aux monts Ourals, il n’y a point de berceau de nation ; les peuples s’y échelonnent d’autant plus barbares qu’ils s’éloignent de l’Occident, où est la lumière. Aucun ne s’élève au-dessus des autres, parce qu’aucun n’a qualité pour commander. La race slave domine, mais divisée en tribus qui se connaissent à peine. Point d’esprit universel ni de langue universelle, comme était le latin en Occident ; un Charlemagne n’y a point paru : il faut, pour qu’il y ait un pasteur des peuples, que les peuples soient capables de se grouper en un troupeau. Tout ce pays était exposé à devenir la proie de la conquête ; mais, si grande que fût la force des hommes de l’Occident et leur supériorité, ils ne pouvaient porter leurs armes et leurs lois jusqu’aux confins de l’Asie. Leur victoire aurait été un bienfait ; mais il n’y eut en Orient ni conquête complète ni organisation autonome : il y eut le désordre. La vaste contrée fut rongée aux bords de la Baltique, de l’Elbe et du Danube par les margraves et les marchands allemands, et bouleversée à l’autre extrémité par des invasions qui passèrent ou demeurèrent, comme celles des Mogols, des Hongrois et des Turcs.

Il faut distinguer dans cette région deux parties, dont l’une confine à l’Occident et l’autre à l’Asie. Dans la première, trois royaumes sont fondés de bonne heure, ceux de Hongrie, de Bohême et de Pologne. Chrétiens, ils entrent dans la communauté européenne ; voisins du saint-empire, ils sont considérés comme ses vassaux au temps où il a toute sa force, et, dès le XIIIe siècle, après qu’il est déchu, la maison d’Autriche naissante dévoile ses prétentions sur la Bohême et la Hongrie. Par un singulier concours de circonstances, les familles qui avaient régné sur ces pays, non sans quelques éclats de gloire passagère, s’éteignent au XIVe siècle : Arpads en Hongrie, Przémyslides en Bohême, Piasts en Pologne, et, comme pour montrer qu’ils ne trouvaient point en eux-mêmes les conditions d’une vie indépendante, les trois royaumes donnent leur