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n’ont rien qui rappelle ces grands dortoirs des maisons centrales, éclairés toute la nuit, où d’un coup d’œil jeté par le carreau de sa chambre, la religieuse chargée de la surveillance peut voir tout ce qui se passe. Sauf une grande salle commune réservée aux femmes détenues administrativement, les dortoirs de Saint-Lazare sont de véritables chambrées : de garni installées dans les anciennes cellules des lazaristes qui peuvent contenir chacune de trois à quatre lits. Les détenues remontent dans ces cellules à sept heures et demie du soir. Jusqu’à neuf heures et demie, une certaine décence extérieure est maintenue par la surveillance de la sœur qui fait la ronde dans le couloir éclairé. Mais à neuf heures et demie les sœurs se couchent, les lumières sont éteintes, et je laisse à penser ce que cette intimité forcée d’une étroite et obscure chambrette favorise de dangereuses confidences. La seule précaution qui soit prise contre les périls de cette intimité, c’est, lorsqu’il y a parmi les prévenues ou les condamnées de droit commun quelques filles inscrites à la police, de les enfermer dans la même cellule. Mais il ne faudrait pas croire que celles-ci soient beaucoup plus perverties que les autres, et les sœurs ne parlent qu’en rougissant des propos qu’elles surprennent parfois et sont obligées de réprimer dans la bouche des femmes mariées ou des jeunes filles. Que serait-ce si une surveillance plus fortement organisée au moyen de rondes de nuit leur permettait de saisir sur le fait quelques-uns de ces désordres sans nom qui n’échappent pas seulement à leur connaissance, mais qui dépassent peut-être leur imagination !

La seule portion du quartier des adultes de Saint-Lazare où se réfugie une certaine moralité relative, c’est le quartier dit des nourrices. Un des spectacles qui dans cette prison étonne et attriste le plus les visiteurs, c’est celui de deux grandes salles, qui, sauf l’étroitesse des lits et l’insuffisance de l’aération, rappellent à s’y méprendre ce qu’on nomme dans les hôpitaux les salles de crèche. Auprès de chaque couchette est placée un petit lit ou plutôt un berceau. Quelques femmes se promènent, cherchant à apaiser les cris d’un enfant au maillot. D’autres allaitent, assises auprès de la cheminée. De ci, de là, des enfans un peu plus grands jouent ou trottinent dans le dortoir. C’est assurément un spectacle qu’on s’attend peu à trouver sous le toit d’une prison, et dont la singularité a besoin d’explication. La préfecture de police, qui administre, on le sait, les prisons de la Seine, a adopté la très tolérante et humaine habitude de permettre aux femmes prévenues ou condamnées qui ont des enfans en bas âge de les garder avec elles. À la vérité l’état se charge ici d’une dépense d’entretien qui en stricte justice devrait tomber à la charge de l’Assistance publique et du