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bois noir, ses grandes cartes de géographie, l’aspect de ce quartier fait un instant oublier la prison. Toutes les détenues qui ont moins de trente-cinq ans y sont envoyées lorsque leur éducation n’est pas complète, et cette éducation est poussée assez loin en calcul, en histoire et en géographie. À celles qui ont quelques dispositions naturelles, on apprend en outre un peu de musique et de chant. Les airs dont on s’efforce de meubler leur mémoire sont presque toujours des cantiques pieux ou des hymnes d’église en latin, dont les paroles, si elles pouvaient les comprendre, offriraient parfois avec leur situation un contraste amer. C’est ainsi qu’en les entendant chanter en chœur, au son de l’orgue tenu par la sœur, ces paroles d’une invocation bien connue : Vitæ dulcedo et spes nostra salve, je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qu’à beaucoup d’entre elles la vie avait jusque-là offert de douceur, et ce que l’avenir réservait d’espérance. L’espérance est là cependant, dans cette influence morale et religieuse que beaucoup d’entre elles finissent par subir, qui ouvre aux unes les portes d’un refuge situé près de Besançon, réconcilie les autres avec leur famille, et pour toutes réduit la récidive à un chiffre beaucoup moins élevé que pour les hommes ; résultat d’autant plus remarquable qu’aux yeux de beaucoup de criminalistes la situation de la femme libérée est encore plus difficile que celle de l’homme, et que dans certains autres pays la proportion des récidives est au contraire moins favorable aux femmes. Assurément la supériorité des sœurs sur les gardiennes laïques entre pour beaucoup dans cette différence, et c’est un hommage que les représentans des contrées étrangères rendent volontiers à la France.

Sauf les heures passées à l’école, la vie des détenues se partage entre le réfectoire, où un repas frugal, mais suffisant, les réunit deux fois par jour, le préau où après chaque repas elles font une promenade d’un aspect triste et saisissant, en file silencieuse, à un mètre l’une de l’autre, les unes lisant, les autres les mains derrière le dos, et enfin l’atelier. J’ai eu l’occasion de définir ailleurs nos maisons centrales : des manufactures dont les ouvriers ne sont pas libres. Cette définition s’applique à la maison de Clermont avec plus de vérité qu’à aucune autre. Le travail y est si intense que la vente des produits compense et au delà pour l’entrepreneur la dépense d’entretien de la maison et des détenues, et qu’il paie en outre à l’état une somme de deux centimes par jour et par tête. L’industrie la plus générale est la cordonnerie, depuis la grossière cordonnerie clouée pour souliers d’enfans jusqu’à la cordonnerie cousue à la mécanique. D’autres industries sont cependant exercées dans la maison, entre autres la confection des corsets, dont quelques-uns d’une