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dans les ateliers qu’elles surveillent, toujours au nombre de deux, assises dans de petites tribunes, l’une à l’extrémité et l’aulne au milieu de l’atelier, elles se lèvent et vous saluent en silence d’une inclination de tête. Mais leur regard ne perd pas de vue les détenues qui pourraient profiter d’un instant d’inattention pour se livrer à quelque communication clandestine. Sauf en cas de nécessité, elles donnent elles-mêmes l’exemple du silence en ne leur adressant point la parole. On dirait qu’il y a entre les détenues et les sœurs comme une muraille de verre à travers laquelle elles se voient sans entrer en contact. On peut mesurer de quel poids pèse sur ces femmes le joug de la discipline lorsqu’en traversant lentement les ateliers on s’aperçoit qu’à peine un regard furtif se dirige sur vous, que pas une tête ne se retourne après votre passage, et lorsqu’on sait cependant l’intense curiosité qu’excite dans une maison centrale la présence d’un visiteur inconnu.

Ce qui m’a fortifié dans la pensée que cette sévérité de la discipline doit nécessairement exercer quelque influence sur les manières de celles qui sont chargées de l’appliquer, c’est que là où cette discipline se relâche, les physionomies se détendent et s’adoucissent aussi. Ainsi l’école est tenue depuis plus de vingt ans par la même sœur à laquelle un nombre incalculable de détenues ont passé par les mains et qui aurait eu assurément le temps de s’endurcir, Elle n’en a pas moins conservé les façons ouvertes et affectueuses d’une sœur qui dirigerait une école primaire. C’est elle en effet qui entre le plus directement en contact moral avec les détenues et dont l’oreille reçoit plus d’une confidence qu’une nature mains pure hésiterait à provoquer. « Pourquoi avez-vous demandé à aller à la Nouvelle-Calédonie ? » demandait le directeur en ma présence et sur l’instigation de la sœur à une détenue de l’école, jolie créature, dont les grands yeux bruns éclairaient un visage pâle et fatigué. « C’était pour rejoindre mon amant, » répondit-elle sans hésitation ni embarras. « Et qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ? » Ici la jeune fille se troubla un peu et répondit avec des larmes dans les yeux : « C’est la sœur qui m’a conseillé de me bien conduire pour avoir un jour ma grâce et retourner auprès de ma mère. » — « C’est bien, ma fille, » dit la sœur d’un ton affectueux. Elle avait obtenu ce qu’elle voulait, le retrait d’une demande imprudente faite sous l’empire d’une domination dangereuse. Ajoutons comme détail caractéristique que cette jeune fille venait d’être condamnée à huit ans de travaux forcés pour complicité dans plusieurs attaques nocturnes.

L’école est le quartier le moins triste de la maison. Avec ses grandes fenêtres qui donnent toutes sur le dehors, ses pupitres en