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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/85

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vers les fabriques et les usines. Voilà où conduisent les leçons de la science économique, de cette science pour laquelle la liberté de la propriété et la liberté personnelle du travailleur sont le dernier mot du progrès, et qui, pour développer la richesse générale, ne demande aux sociétés modernes que de garantir à tous et à chacun cette pleine liberté de la propriété et du travail.

L’Europe occidentale a suivi les enseignemens de l’économie politique, et depuis lors l’Europe a vu sa richesse nationale s’élever toujours et grossir sans fin ; mais à quel prix ont été achetés tous ces succès ! La classe des paysans propriétaires a entièrement disparu de certains états ; dans les autres, elle a diminué de moitié et plus encore, pour faire place à un peuple de prolétaires. L’agriculture a tiré un admirable parti de cette expropriation du peuple ; en passant des mains des pauvres, privés de capital, aux mains des riches et des capitalistes, la terre s’est prodigieusement améliorée, tandis que l’industrie et le commerce s’épanouissaient dans les villes, grâce à l’affluence des travailleurs expulsés des campagnes. Tout a réussi, tout a prospéré en apparence, et les savans de l’Europe paraissaient fondés à prédire le retour prochain de l’âge d’or, lorsque du fond des masses déshéritées et longtemps oubliées par la libérale Europe se sont élevés de sourds murmures, puis des voix été plus en plus distinctes et impérieuses, des plaintes de plus en plus sonores et retentissantes.

Dépouillé de ses terres depuis des générations, vivant d’un travail salarié, d’un travail mercenaire, ce peuple de prolétaires avait perdu jusqu’au souvenir de ses titres de propriété. Au lieu de réclamer le bien de ses ancêtres, il s’est plaint du bas prix du travail, il a demandé la diminution du nombre des heures de la journée, il a soulevé en un mot toutes les questions compliquées qui sont d’habitude réunies son le nom de question ouvrière. Dans toutes ces revendications des masses se cache par malheur un profond et inévitable malentendu, car il est évident que toutes les discussions sur le prix du travail n’ont pas d’issue, qu’elles ne sauraient aboutir à une entente et que toutes les transactions conclues à cet égard ne sont que des trêves entre deux ennemis. Pourquoi cela ? C’est que la question a été mal posée ; désormais le débat doit être porté sur un autre terrain. En regardant au fond de toutes les contradictions et de tous les désordres de l’Europe contemporaine, il est impossible de ne pas reconnaître que sous le masque de la question ouvrière s’en cache une autre essentielle, la question agraire. Ce que demandent ostensiblement les masses qui s’efforcent d’améliorer leurs conditions d’existence n’est point ce qu’elles ont réellement en vue. Ce qu’elles entendent réclamer, ce n’est point