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tiennent à nous mettre en garde contre les dangers de l’amour. Irréprochable est l’intention non moins que les préceptes ; mais, dans son zèle honnête, l’auteur nous enseigne ce qu’il condamne ; en signalant le danger, il le crée, il sollicite l’imagination à pénétrer tous ces voiles qui se croient discrets, et toute cette gaze morale dont il abuse est précisément ce qui fait que nous ne perdons rien de ce qu’elle dérobe. A force de vouloir être moral, le livre ne l’est plus. C’est que l’auteur, qui croit n’ignorer aucun danger de l’amour, en ignore un, le plus grand peut-être, qui est pour une jeune âme d’entendre parler de l’amour avec vulgarité et platitude. Dans les romans, tous les bons préceptes du monde ne valent pas moralement une seule page noble, un seul sentiment délicat. Il n’y a d’immoral dans la fiction que ce qui est laid, ce qui est bas, ce qui est faux, ce qui est indiscret, ce qui est commun, en un mot, comme disaient les Grecs, ce qui offense les Grâces et les Muses.

Enfin il y a une raison pour laquelle il ne faut pas mêler la morale à l’art, une raison qui seule dispense de toutes les autres, c’est que cela nous ennuie. Volontiers, quand je veux lire de la morale, je m’adresse aux moralistes, quand je veux me récréer par une fiction, je recours aux poètes. Comme la morale et l’art sont l’une et l’autre de belles et bonnes choses, on a pensé, bien à tort, qu’en les mêlant on rendrait le plaisir plus intense et plus salutaire. Un pareil principe est une hérésie en littérature aussi bien qu’en cuisine. Si vous voulez vous divertir, vous ne tenez pas à vous instruire ; si vous voulez vous promener, il vous répugne d’être conduit. Les hommes ressemblent en cela aux enfans. Ordonnez-leur de jouer, ils ne joueront plus. La fantaisie a du charme parce qu’elle est la fantaisie et qu’elle est libre. Le plaisir périt au moment où commence la leçon. Il est plus facile de constater le fait que de l’expliquer. Nous recherchions un jour à quoi tient cette disposition d’esprit, sans en trouver la cause véritable, quand nous avons été mis sur la voie par un jeune philosophe de dix ans, qui résolvait ingénument ce problème d’esthétique en disant devant nous à sa mère : « Oh ! je t’en prie, pour ma fête ne me donne pas un cadeau utile. » Il y a quelques années, il s’était formé une société composée de personnes fort distinguées, se proposant de fonder sur la rive gauche de la Seine un théâtre sous le nom effrayant de Théâtre moral. Personne ne l’eût fréquenté, pas même les plus honnêtes gens, pas même les fondateurs. Vous pouvez demander aux honnêtes gens tout ce que vous voudrez, leur temps, leur argent, leur vie peut-être, mais ce que vous n’obtiendrez jamais d’eux, c’est qu’ils s’ennuient pour leur plaisir.

Pour ne considérer que les grandes œuvres d’imagination, bien