Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnaissent les bons effets de l’art. A moins qu’il ne se trouve encore quelqu’un pour se livrer sur ce point à un accès de misanthropie comme Jean-Jacques Rousseau et à un jeu d’esprit farouche, on conviendra d’une voix unanime que l’art aussi bien que la morale fait la haute éducation du genre humain. Voilà pourquoi nous admirons tous la sagesse des Grecs, qui fondaient surtout l’éducation de la jeunesse sur la musique et la poésie, nous félicitons les Romains de les avoir suivis après bien des résistances, nous célébrons à l’envi les grands siècles où les arts ont fleuri. Même les peuples modernes, moins bien traités que les anciens par la nature, moins livrés à de beaux loisirs, condamnés au travail des mains, plus besoigneux, encouragent les arts et, quand ils en sont privés, regrettent leur indigence et en éprouvent de la honte. Les arts ne sont pas seulement le luxe des sociétés ; ils en sont une pièce nécessaire et l’indispensable condition d’une haute culture. On peut faire des réserves ici, là, disputer sur des détails, mais on est d’accord sur le fond. Les âmes les plus religieuses, les plus sectaires, les plus amoureuses de discipline, rendent hommage à cette influence bienfaisante de l’art, au point de lui sacrifier même, en partie, leur morale dont elles paraissent exclusivement éprises. Dans les plus chrétiennes maisons d’éducation, on met sans cesse entre les mains des enfans les livres païens, malgré la morale souvent détestée qu’ils renferment, en faveur de l’art qui y règne. C’est le cas ici de rappeler un grand fait historique qui confirme ces réflexions de la manière la plus éclatante. Quand l’empereur Julien, surnommé l’Apostat, par la plus raffinée des vengeances, interdit aux chrétiens d’enseigner les lettres profanes et les renvoya à leur morale religieuse, puisque dans leurs écoles ils déclaraient eux-mêmes qu’ils n’estimaient qu’elle, il y eut dans toute la société chrétienne une sorte de désespoir. Que demandaient donc les chrétiens ? Était-ce le droit de jouir de la morale païenne ? Non, puisqu’elle leur paraissait corruptrice ; ils réclamaient le droit à l’art qui en faisait le charme. Bien qu’on leur laissât leur doctrine, ils se sentaient périr, si on leur interdisait l’antiquité païenne et son art délicat ou magnanime.


II

Quels sont donc les nobles effets de l’art qui sont partout si visiblement reconnus ? Dire qu’il élève l’esprit, comme on se contente souvent de le proclamer, c’est trop peu dire, si on ne montre comment il l’élève et par quel charme secret il le ravit. Il n’est pas besoin de remonter ici à des principes de métaphysique ; il suffit de constater simplement ce que les hommes éprouvent en présence des