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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/88

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occidentale a été le point de départ de la propriété[1], il vient ensuite des usurpations successives de la force ou du capital, usurpations consacrées par les principes juridiques et les théories scientifiques en vigueur.

Cette thèse, il en fallait démontrer la vérité par l’examen des faits. En Angleterre, la patrie de l’entail et des substitutions, la patrie des grands domaines et des riches farmers, l’auteur a beau jeu, et dans maintes de ses observations et de ses critiques il se rencontre avec les écrivains de l’Occident et les écrivains mêmes de la Grande-Bretagne. Le prince Vasilichikof ne diffère guère de ces derniers que sur un point, mais ce point est capital. Aux yeux de l’observateur russe, l’Angleterre, avec sa propriété concentrée en quelques mains aristocratiques, semble le type le plus complet de la propriété européenne, de la libre propriété individuelle et héréditaire en honneur en Occident. De tous les pays de l’Europe c’est celui où les résultats de notre mode de tenure du sol sont le mieux accusés, celui où ils sont arrivés à leur dernier terme, à l’entière expropriation du paysan. Dans cette théorie, l’exception se change en règle, le régime de la grande propriété anglaise devient le modèle dont les états du continent sont condamnés à se rapprocher de plus en plus. On voit immédiatement l’exagération et le paradoxe[2].

Qui ne sait que ce n’est pas la liberté de la propriété, que ce ne sont pas les principes de l’économie politique ni même les bills d’inclosure, mais bien les lois et les usages particuliers de la Grande-Bretagne, le droit d’aînesse, les majorais et plus encore les mœurs aristocratiques qui de génération en génération ont diminué le nombre des freeholders, supprimé les anciens yeomen, renversé les bornes des champs et concentré la plus grande partie du sol de la Grande-Bretagne dans les mains de dix mille landlords, dont l’héritage, pouvant toujours grossir sans presque jamais se partager, croît d’une manière constante et démesurée à la façon des biens de mainmorte ? Des deux mouvemens naturels de concentration et de division de la propriété, de composition et de décomposition des

  1. MM. Guerrier et Tchitchérine, Rousskii dilettantism, ont fort bien montré ne que soutenait d’erreur cette théorie démodée, encore fort répandue en Russie.
  2. Si restreint qu’il soit, le nombre des propriétaires fonciers dans les Iles britanniques est en réalité plus grand qu’on ne le supposait naguère. D’après les returns officiels publiés en 1876, il y aurait dans les trois royaumes, en dehors du district de la métropole, 1,173,600 personnes ayant part à la propriété foncière. Sur ce nombre, il est vrai, plus de 852,000 possédaient moins de 1 acre (40 ares 46 centiares) et n’avaient chacune en moyenne que 8 ares et demi, soit le terrain d’une maison et d’un jardin. Les landowners, les propriétaires ruraux, ne dépassaient pas le chiffre de 321,000, et parmi eux 10,000 environ détenaient à eux seuls les deux tiers de la surface totale.