Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jette quand même, avec délice, en y mêlant du sirop, et l’on devise pendant une heure environ. Les dattiers qui nous abritent du soleil sont plantés régulièrement ; quelques grenadiers tout en fleurs sont dispersés çà et là ; les régimes de dattes qui pendent en masses compactes hots des touffes de palmes, les uns jaunes d’or, les autres rouges, — ces derniers sont les moins estimés, — rompent la monotonie d’une végétation peu variée. La saison n’est pas encore assez avancée pour la complète maturité des dattes, mais un jeune jardinier arabe monte au faite d’un des arbres, en posant ses pieds nus sur les rugosités du tronc, et parvient, en les choisissant, à en trouver un certain nombre d’assez bonnes que nous mangeons sur place. Les moustiques nous harcèlent de leurs dards ; nous nous en défendons de notre mieux avec l’éventail du pays en paille tressée et brodée. Chaque oasis a sa spécialité d’éventails ; ceux de Sidi-Okba sont les plus légers. Le long manche est fait d’un simple bambou. Il nous faut cependant songer au retour ; nous avons plus de cinq lieues à faire avant la nuit qui, dans ces régions, arrive tout à coup. Nous prenons le chemin de la maison du cheik, où nous attendent les voitures.

Une fois hors des murs de l’oasis, nous avons senti la brise qui s’élevait peu à peu, à mesure que le temps s’avançait, quoiqu’il y eût dans l’air comme une menace d’orage. Ces effets d’un moment, qui n’ont aucune suite, sont un des phénomènes de l’Afrique. Le désert était devenu gris, les montagnes couleur de plomb, et une énorme masse de nuages noirs restait immobile dans le ciel. Barye aimait dans ses aquarelles à placer ses lions sur ces fonds sombres et chargés de lourdes vapeurs. Comme nous touchions à la lisière de la forêt de Biskra, toutes les craintes de pluie et de foudre s’étaient déjà dissipées, laissant à leur place une belle fin de coucher de soleil rose et une douce fraîcheur. Nous avons achevé notre soirée dans la tranquillité la plus complète, assis sur des chaises, au milieu de la rue déserte sur laquelle ouvre l’hôtel. Nous entendions dans la distance le bruit continu du tambour avec son rythme régulier qui accompagne dans les cafés les danses des Ouled-Nayls. Des femmes qui se respectent ne se rendent pas à ce lieu de réunion ; mais d’après les récits qu’on m’en a faits, il y a dans l’aspect de ces petites pièces basses et faiblement éclairées, au milieu desquelles les femmes sont assises, quelque chose de véritablement fantastique. Des Arabes, les jambes croisées à la turque sur des nattes ou des bancs en maçonnerie, prennent du café, en écoutant l’orchestre et en regardant la danseuse qui, de temps à autre, se lève et tourne sur elle-même, comme je l’ai déjà décrit, dans cet espace étroit, jusqu’à ce qu’elle arrive à la pâmoison.