lord Glenelg fut la goutte qui fit déborder le vase trop plein. Sous l’ancien régime colonial les boers avaient pris l’habitude, lorsque l’herbe manquait à leurs troupeaux ou qu’ils étaient ennuyés des duretés du gouvernement de la Compagnie, d’aller chercher telles solitudes où la main de l’autorité ne s’étendît pas. Cette habitude de se déplacer, qui a rendu célèbre le verbe trekken par lequel elle s’exprimait en langue hollandaise, les boers se dirent qu’il n’y avait qu’à la continuer sur une vaste échelle, et la sortie en masse fut résolue. A la fin de 1836 deux bandes partirent sous la conduite de deux chefs, Hendrick Potgeiter et Gerrit Maritz. Un troisième, resté célèbre, Pieter Retief, les joignit bientôt, et les fugitifs franchirent le fleuve Orange, qui était alors l’extrême limite de la colonie.
Cet exode a été très remarquable à plus d’un titre, et entre autres parce qu’il a répété en plein XIXe siècle quelques-unes des scènes du monde primitif et des anciennes migrations des peuples. Emmenant avec eux leurs familles et leurs troupeaux, les boers partirent dans leurs longs chariots attelés de six ou sept paires de bœufs et surmontés d’une tente, espèces de maisons roulantes qui furent leurs seules habitations pendant les longues années où ils errèrent entre l’Orange et le Vaal. Ils campaient là où le gazon était abondant et le terrain fertile, jetaient en terre une moisson dont ils attendaient la récolte, puis poussaient plus loin à mesure que de nouveaux émigrans venaient les rejoindre. Souvent ils étaient assaillis par les indigènes, alors ils liaient étroitement leurs chariots les uns aux autres, les disposaient en forme circulaire, déposaient au centre de ce cercle leurs femmes et leurs enfans, et palissadaient de leurs bestiaux la ligne extérieure de ces boulevards d’où ils repoussaient les attaques de leurs ennemis, ressuscitant ainsi naïvement la manière de combattre des Gaulois de Jules César et des Cimbres de Marius. En lisant les détails de cet exode des boers, nous n’avons pu nous défendre de songer à la prodigieuse quantité de vraie matière poétique qui se perd dans le monde. On prétend qu’il n’y a plus de nos jours de sujets d’épopée, mais c’est faute sans doute de les chercher où ils se trouvent, car il y a dans cette émigration tous les élémens d’un poème épique composé d’épisodes grandioses sans lien étroit, à la manière des Lusiades de Camoens et admettant en même temps toute la familiarité de ton de l’Hermann et Dorothée de Gœthe, s’il se rencontrait quelque boer de génie pour exécuter cette patriotique entreprise. Le sujet se prête merveilleusement à la description et à l’emploi de ces phénomènes naturels qui sont au nombre des ressorts recherchés par le poète épique, sécheresses, violens orages, effets meurtriers du climat ; l’impérieuse loi des contrastes trouve satisfaction aussi ample que possible dans l’antithèse de la vie sauvage et de la vie civilisée, et quelle mine