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passa, avec l’assentiment du Colonial office, une loi qui plaçait la race offensée sur le même pied que les Européens, et déclara par une clause spéciale que cette loi ne pourrait jamais être abolie par aucun gouvernement colonial futur. Nous sommes dispensé de rechercher si un tel défi jeté à la colonie était précisément sage et prudent, puisqu’il était inspiré par un de ces sentimens de justice devant lesquels toute considération doit céder ; toujours est-il qu’il fut pris avec indignation non-seulement par les boers et les autres colons de provenance européenne, mais par ceux des fonctionnaires anglais qui n’avaient pas encore subi l’influence de la philanthropie alors régnante, et le nombre en était grand à cette époque. Autre fait de même nature et dont les effets furent plus crians encore. L’échange de procédés violens et frauduleux entra indigènes et colons était, comme on le pense, incessant ; ce que les colons volaient en terres aux Cafres, les Cafres s’en payaient en vols de bestiaux. Lorsque les vols avaient été ou trop considérables ou trop audacieux, on organisait un commando, c’est-à-dire une expédition de cavaliers pris parmi les colons, et l’on peut croire que les bestiaux n’étaient jamais ramenés sans qu’il y eût de part et d’autre un certain nombre de victimes. Or, en 1835, à la suite d’un de ces commandos, les Cafres ayant tiré des colons une vengeance plus complète qu’à l’ordinaire, une véritable guerre s’ensuivit. Le gouverneur du Cap, sir Benjamin Durban, prit des mesures rigoureuses et réprima la rébellion cafre avec la dernière énergie ; mais il avait compté sans les influences d’Exeter Hall. Au moment même où il se vantait d’avoir appris pour longtemps aux indigènes le respect du nom anglais, il recevait du ministre des colonies, lord Glenelg, un adepte de l’école philanthropique dominante, au lieu des remercîmens auxquels il se croyait droit, un blâme humanitaire et une justification philosophique de la révolte des indigènes. Les Cafres, disait le ministre anglais, « avaient parfaitement le droit d’essayer d’arracher par la force la réparation qu’ils ne pouvaient espérer obtenir autrement, » et comme conclusion il ordonnait de rendre aux rebelles les terres qui leur avaient été enlevées en déclarant qu’il prenait sous sa responsabilité cette mesure et ses conséquences.

En entendant ce langage, un des plus impolitiques que jamais ministre ait tenu, les colons se demandèrent sérieusement s’ils étaient en sûreté sous un gouvernement qui leur déclarait ainsi qu’il tenait les Cafres pour ses sujets les plus chers, et s’il ne serait pas sage de se soustraire à sa douteuse protection. C’était justement l’époque où l’Angleterre venait de décréter l’abolition de l’esclavage dans toutes ses colonies, et, bien que les effets de cette mesure ne dussent se faire sentir entièrement que quelques années plus tard, elle avait porté l’exaspération à son comble. La philanthropie de