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que pour la crédule armée de Samos, ce rappel devait être l’avant-coureur de l’alliance du grand roi, le précurseur des subsides de Tissapherne. Pisandre et les principaux partisans de l’oligarchie jugeaient depuis longtemps leur cause à peu près perdue ; ils ne crurent pas devoir laisser à la démocratie la tentation d’ensanglanter sa victoire. L’asile de Décélie leur était ouvert ; ils s’y précipitèrent. Agis les reçut avec bienveillance. « C’est ainsi, conclut Thucydide, que cessèrent dans Athènes les séditions. » La sédition, c’est l’usurpation qui échoue.


III.

Athènes possédait de nouveau le gouvernement qui lui était cher ; seulement le siège de ce gouvernement était bien plutôt dans le camp de Samos que sur la colline du Pnyx. On ne peut nier qu’il n’y eût quelque avantage à ce qu’il en fût ainsi. Tout ce qui avait quelque vigueur de corps ou d’esprit était, à cette époque, aux armées. Il ne restait dans la ville que de braves officiers hors d’âge, des tallophores, dont la principale fonction était de porter des branches d’oliviers dans les grandes panathénées, et l’occupation favorite de critiquer les opérations de leurs successeurs. À côté de cette vieillesse chagrine, venaient se ranger les pêcheurs d’anguilles, « ceux qui font métier d’agiter la vase en tous sens, pour que la pêche soit bonne, » les juges, — on comptait cinq mille citoyens employés à rendre des arrêts dans Athènes, — les juges, toujours prêts à venir toucher leurs trois oboles et n’ayant que trop d’occasions de les mériter, car les Athéniens étaient aussi friands de procès que l’ont été jadis les Normands. « Quand je t’assigne ou quand tu m’assignes, disaient autrefois les compatriotes de Rollon, ça me joue du violon dans le cœur. » Ces divers élémens réunis constituaient le peuple ; les rameurs, les pilotes, les triérarques, les hoplites constituaient l’armée. Les soldats ne montraient pas toujours beaucoup plus de bon sens que les habitués du Pnyx ; ils comprenaient du moins la nécessité d’obéir quand apparaissait à l’horizon le Spartiate barbu, de lever les rames quand le céleuste criait : Hop ! de replonger l’aviron dans l’eau quand il commandait : Hippapé ! Il y avait, en un mot, certaines habitudes invétérées de discipline dans cette foule démocratique. Que le sort y vînt joindre le surcroît d’autorité que donne aux chefs heureux l’ascendant de la victoire, et Athènes peut-être était sauvée.

Amnistié sur le Pnyx, acclamé à Samos, Alcibiade ne songeait pas encore à conduire à l’ennemi la flotte qui s’était jetée dans ses bras. Sa grande préoccupation n’était pas de rencontrer les Lacédémoniens ; il tenait surtout à retrouver Tissapherne. Avec treize