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point régulièrement condamné. De même qu’en Angleterre, la loi russe a même cherché à lui épargner les ennuis et le déshonneur de la détention préventive. Pour certaines affaires, pour celles qui concernent les biens, l’inculpé est maintenant admis à demeurer en liberté à la condition de fournir une caution[1]. Dans les cas où l’on n’osait dispenser l’inculpé de la prison préventive, on remit le droit de l’arrêter et de l’emprisonner non plus à l’accusation ou à la police, mais à une magistrature nouvelle, indépendante et impartiale, ou du moins réputée telle.

D’accord avec les principes et avec l’expérience d’autrui, le réformateur de 1864 a partagé les fonctions judiciaires en trois branches séparées et indépendantes l’une de l’autre. L’accusation, l’instruction, le jugement furent strictement distingués et eurent chacun leur organe particulier. On introduisit ainsi dans le domaine judiciaire, dans l’enceinte même des tribunaux et de la magistrature, le principe nouveau de la séparation des pouvoirs et de la spécialisation des fonctions. L’autonomie de chacun des trois services judiciaires fut proclamée par la loi, l’instruction fut rendue aussi indépendante de l’autorité qui poursuivait que du tribunal qui jugeait. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, la législation russe est strictement conforme aux principes et théoriquement parfaite; mais sur ce point comme sur trop d’autres, la pratique a bientôt dérogé à la théorie.

D’après la loi, les procureurs ont pour unique mission de poursuivre les crimes et de soutenir l’accusation devant les tribunaux. Des magistrats spéciaux, créés dès 1860, quatre ans avant la réforme des tribunaux et appelés soudebnye slêdovatéli, sont seuls chargés de l’instruction ou enquête judiciaire. Le parquet n’y devait point s’immiscer, et la police n’y devait prendre part que comme aide et instrument des nouveaux magistrats. Les faits sont loin de toujours répondre aux vues du réformateur, et en pareille matière, dans un pays comme la Russie, il n’en pouvait guère être autrement. Dans nombre d’affaires, dans les cas qui exigent le plus de diligence, la police est demeurée chargée des perquisitions domiciliaires, du premier interrogatoire des témoins, parfois même de l’arrestation des prévenus. Bien qu’elle n’agisse plus que comme auxiliaire du juge d’instruction, sous la direction et le contrôle de ce magistrat, la police n’a pu en quelques années renoncer à tous ses anciens erremens.

La police a gardé d’autant plus d’autorité que les juges d’instruction n’ont point conservé la position indépendante que prétendait

  1. Dans un procès récent par exemple, une dame de la société pétersbourgeoise, accusée d’avoir falsifié pour 57,000 roubles de lettres de change, put éviter la prison grâce à l’un de ses amis qui offrit pour elle une caution de 60,000 roubles.