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comme si là même où il n’admettait point l’intervention du jury, le réformateur en eût voulu laisser aux accusés une réduction corrigée ou une image[1].

Pour les procès les plus considérables, pour les conspirations, par exemple, embrassant plusieurs provinces de l’empire, le jugement des crimes d’état pouvait, sur un ordre du souverain, être transféré à une cour spéciale du sénat qui, d’ordinaire, était également complétée à l’aide de quelques délégués désignés par la loi. C’est de cette façon, devant des membres de la cour suprême, qu’ont été jugés antérieurement à 1879 la plupart des grands procès politiques des dernières années; c’est une haute cour de ce genre qui va prononcer sur le sort du régicide Solovief.

Le législateur, on le voit, avait pris ses précautions ; mais les nombreux attentats de 1878 les lui ont fait paraître insuffisantes. La procédure a semblé trop lente, et les débats même trop solennels en présence de l’attitude souvent provocante des accusés. Renonçant aux tribunaux civils, le gouvernement s’est décidé à livrer ses adversaires politiques à la justice la plus expéditive, à la justice militaire. Le 9 août 1878, un ukase impérial, renchérissant sur celui du 9 mai précédent, transférait provisoirement aux cours martiales tous les crimes contre l’état aussi bien que les crimes contre les fonctionnaires. La guerre de Bulgarie était à peine terminée, les troupes russes campaient sur la mer de Marmara, le traité de Berlin n’était pas encore ratifié, et les attentats les plus audacieux contre les représentans du pouvoir se succédaient coup sur coup, à Pétersbourg, à Kief, à Odessa. Le gouvernement, qui en avait à peine fini avec les ennemis du dehors, résolut d’employer contre ses ennemis du dedans les armes dont usent les états contre les séditions à main armée. Les conspirateurs qui recouraient si volontiers au poignard et au revolver ont été ainsi assimilés à des insurgés. L’opinion, inquiète de l’audace et du nombre des ennemis de l’ordre, alors même que la Russie restait exposée à de graves périls extérieurs, l’opinion ne semble pas d’abord s’être alarmée de cette sorte de mise hors la loi des conspirateurs et des révolutionnaires qui, en se montrant assez peu patriotes pour jeter le trouble dans le pays à l’une des heures les plus graves de son histoire, semblaient se faire les complices de l’étranger[2]. Déjà, l’hiver dernier, l’on se plaisait à remarquer que

  1. D’après la loi, qui est temporairement suspendue, ces délégués ou assesseurs doivent être un maréchal de la noblesse de gouvernement, un maréchal de la noblesse, de district, un maire de ville, et enfin un starchine de volost, autrement dit un doyen de bailliage de paysans. Les délégués ainsi choisis étaient au nombre de quatre, tandis que les magistrats, y compris le président, étaient au nombre de cinq, ce qui leur assurait toujours la majorité.
  2. « Ces hommes ont indiqué le chemin, disait un article du Golos, en cela l’écho de l’opinion, ils ont choisi comme arme le poignard et le pistolet, qu’ils périssent eux-mêmes après un jugement militaire. »