Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manifester et ne s’en font pas faute. Ce qu’un tel état de choses peut produire, nous l’avons vu pendant la commune, qui a simplement été la prédominance des instincts sur la loi. La commune fut encore une autre révélation : elle dénota chez presque tous les hommes qui s’en mêlèrent, l’horreur du métier et l’amour de la fonction ; le mépris de l’outil, de l’humble et honorable existence de l’ouvrier, éclate avec une évidence extraordinaire ; si l’on eût renvoyé Amouroux à ses chapeaux, Pindy à sa varlope, Trinquet à son tire-pied, Babick à sa pommade et Arnaud à ses filets, ils se seraient crus déshonorés et auraient crié à la tyrannie. Nul ne s’emploie à améliorer le sort de ses compagnons d’atelier, mais tous cherchent à dominer et chacun excelle à faire acte dans les choses qu’il ignore. Cela seul rend la commune burlesque et lui assure une place spéciale dans l’histoire des bouffonneries humaines. Capables de tout, quoiqu’ils ne fussent capables de rien, ces hommes se figuraient qu’il suffisait d’être pourvu d’une fonction pour pouvoir la remplir et que les aptitudes accompagnent nécessairement l’investiture. Leur vanité dépassait les bornes, et lorsqu’ils n’étaient pas absolument ignorans, ils croyaient sérieusement à leur savoir. Un jeune homme, Émile Lebeau, qui fut pendant quelques jours chargé de la rédaction du Journal officiel de la commune, écrit ceci, à la date du 29 mars : « Lors de la prise de l’Hôtel de Ville, mon ami Lullier me fit appeler et me demanda à quel poste je voulais être délégué. Je réfléchis un moment et ensuite je lui demandai l’Officiel, en lui déclarant qu’avec ce journal et mes profondes études sur les diverses révolutions, je pourrais soulever la province contre le gouvernement Thiers. » La plupart sont ainsi ; ils doutent de tout, excepté d’eux-mêmes, et sans broncher ils affirment leur supériorité. Un sous-lieutenant nommé Bourdon, écrivant à Delescluze pour demander un grade important, dit : « Une modestie exagérée me paraîtrait coupable[1]. » Du haut en bas de l’échelle communarde, à tous les degrés, on rencontre cette foi en soi-même qui, ne s’appuyant que sur d’injustifiables illusions, a produit toutes les cacophonies que nous avons vues, et les crimes absolument inutiles dont Paris a été le témoin indigné.


III. — LES ÉLECTIONS COMPLÉMENTAIRES.

Tout en continuant à délibérer derrière ses portes closes, la commune ne négligeait aucune occasion de se manifester au dehors et d’apparaître aux yeux de la population dans toute la pompe de

  1. Procès L.-J.-R. Bourdon ; débats contradictoires ; 4e conseil de guerre, 4 août 1874.