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vaisseaux marchands interceptés, ses côtes assaillies, ses ports de commerce insultés par de misérables corsaires? Il se croirait infailliblement trahi par ses ministres et par ses amiraux. Et cependant il n’y aurait là que l’effet tout naturel des embarras causés aux plus grandes marines par la nouvelle constitution de la flotte. Nous aurons plus d’une fois à revenir sur ce sujet; pour le moment retournons à Antiochus.

Antiochus était mort; il avait péri dans l’engagement que l’histoire lui reproche d’avoir inconsidérément provoqué. Alcibiade eût volontiers laissé à ce mort la responsabilité d’un échec subi en son absence, échec qu’il se flattait d’ailleurs de pouvoir bientôt réparer; le peuple d’Athènes fut d’un autre avis. Sa colère alla droit à celui que, dans son enthousiasme, il avait investi d’une autorité absolue, à celui qui devait s’emparer d’Andros, réduire Chio et soumettre Milet, à celui qui lui promettait, en partant du Pirée, des victoires et qui, pour première nouvelle, lui envoyait le bulletin d’une défaite. Dans la flotte même qu’il commandait en chef, muni de pouvoirs inusités, Alcibiade ne comptait plus seulement des partisans; il rencontrait des jaloux et des rivaux. Thrasybule se chargea de cultiver le courroux populaire. Suivant lui et suivant ses amis, Alcibiade, « au lieu de livrer le commandement à des hommes qui n’avaient acquis leur crédit près de lui que par leurs débauches et par leurs grossières plaisanteries de matelots, au lieu d’aller s’ébattre dans la société des filles d’Abydos et de donner tous ses soins à la construction des forts qu’il faisait bâtir dans la Chersonèse, pour s’y réfugier, le cas échéant, » devait rester à Notium ou tout au moins à Samos. De là il eût pu suivre les progrès de ce grand armement par lequel Antiochus, infiniment plus malheureux que coupable, s’était laissé surprendre. Tels étaient les reproches, telles étaient les accusations qui circulaient dans Athènes. La disgrâce d’Alcibiade ne se fit pas attendre. Il n’y a pas « d’étale » dans la marée populaire ; le flot y succède au jusant et le jusant y refoule le flot avec la rapidité de la foudre. Le peuple avait raison quand il se déclarait mécontent de son favori ; il eut tort lorsqu’il le remplaça. On ne trouvera jamais un général qui ne commette des fautes ; ces fautes, la plupart du temps, seront mieux réparées par celui qui les a commises que par le successeur qu’on songerait à lui donner. Mais pouvait-on avoir confiance dans Alcibiade? Le succès, — un succès constant, — est indispensable pour qui a la trahison à faire oublier.