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sculpture et que nous avons appelé le type cypriote est-il celui de cette race croisée, chez qui certains caractères physiques et moraux se seraient à la longue fixés par l’hérédité? Ce qui est certain, c’est qu’il se distingue, par un ensemble de traits faciles à définir, du type égyptien, de l’assyrien et du grec. Sans doute l’apparente étrangeté de ce type tient en partie aux habitudes et au style des sculpteurs cypriotes; chaque peuple a sa manière de voir et de rendre la nature; sans s’en douter, il en atténue certains traits et en exagère d’autres. La physionomie du modèle n’en est pas moins pour quelque chose dans celle de la copie, dès que la copie est intelligente et consciencieuse. L’emploi de certaines matières et la préférence accordée à certains procédés contribuent à souligner tels ou tels traits de la figure, mais ne les créent pas: autrement dit, tout portrait contient une part de vérité, surtout lorsque plusieurs générations d’artistes s’appliquent l’une après l’autre à tirer des épreuves d’un même original.

Toutes ces alliances plus ou moins régulières avaient donc au bout de quelques siècles, donné naissance à une race secondaire qui tenait à la fois de la race syrienne et de la grecque. A l’est et au sud de l’île, le sang phénicien coulait en plus forte proportion dans les veines des Cypriotes; dans l’ouest et le nord, c’était le grec qui dominait. A Kition, vous auriez rencontré plus d’une figure toute juive de lignes et d’expression, à Salamine, à Curium ou à Soli, plus d’un profil grec, plus d’une tête dont le noble et pur dessin vous aurait rappelé les fils de la mère patrie. Il en était de même pour les habitudes, les idées, le caractère moral; le désir de se rattacher à la Grèce, d’en cultiver les arts et les lettres, d’en prendre les mœurs et l’esprit, était sensible chez ces princes de Salamine et de Soli, qui s’associèrent avec tant d’ardeur à la révolte des Ioniens vers la fin du VIe siècle, chez ceux qui plus tard secondèrent les efforts de Cimon, enfin chez cet Évagoras, qui lutta si brillamment contre Artaxerce et qui entretint avec Athènes des rapports si affectueux; certains particuliers durent partager ces dispositions et ces goûts. Ce ne furent pourtant là que des tentatives isolées et toujours malheureuses, des exceptions qui ne tirèrent pas à conséquence. Avec sa richesse, Nicoclès pouvait payer chèrement à un Isocrate l’éloge de son père Évagoras; mais il ne dépendait pas de lui que beaucoup de ses sujets sentissent les délicatesses de cette fine prose attique dont jouissaient si vivement les compatriotes du célèbre rhéteur.

Dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, il s’était donc établi, d’un bout à l’autre de l’île, une sorte de moyenne. Les Phéniciens de Cypre avaient tous appris le grec, comme le prouve l’usage