Ainsi les principaux foyers du culte de cette grande déesse-nature se répartissent, comme autant de haltes, sur les principales
routes de caravane qui, de la Babylonie, de l’Assyrie et de la Médie,
conduisent vers l’Euxin et la mer Égée, à travers le territoire des Arméniens, des Phrygiens, des Mysiens et autres peuples aryens, proches parens de tribus grecques établies sur la côte depuis une haute
antiquité. Pourquoi la transmission se serait-elle arrêtée à la limite
du territoire de ces tribus, pourquoi le fil se serait-il brisé au moment où il atteignait le rivage de ces deux mers ? L’hypothèse de
cette brusque interruption devait paraître, a priori, peu vraisemblable ; nous pouvons aujourd’hui l’écarter sans retour. Sur tout ce
littoral, nous trouvons une série de sanctuaires de divinités féminines, qui représentent toutes, dans leur essence, une même conception religieuse ; mais, sur ces côtes découpées en un si grand
nombre de petits états autonomes, cette conception, en passant par
l’esprit actif et subtil des Grecs, a subi divers changemens de forme
et pris différens noms. Ainsi le culte célèbre d’Héra, à Samos, a le
même fond que celui d’Éphèse. Si l’on a méconnu l’identité primitive de ces déesses, Aphrodite et Artémis, Héra et Cybèle, c’est que
l’on a trop isolé les Grecs de leurs voisins. Les métaux précieux livrés aux Grecs d’Asie-Mineure, en lingots et en flans pesés d’après
l’étalon babylonien, recevaient de leurs mains l’empreinte du génie
grec et couraient ensuite comme monnaies nationales ; ainsi les
idées religieuses qui dominaient dans l’Asie antérieure, adoptées
par les Grecs, ont été comme surfrappées par eux et marquées d’un
nouveau coin. Sur les côtes de l’Archipel, l’idée panthéistique se
brise en tant de rayons que l’on a pu méconnaître jusqu’à nos jours
l’unité du foyer primitif.
Malgré l’intérêt que présente cette recherche, nous ne pouvons suivre M. Curtius dans toute la série des observations et des rapprochemens ingénieux à l’aide desquels il essaie de retrouver quelques-uns des traits de la déesse orientale jusque dans les figures de l’Olympe classique qui paraissent le plus profondément empreintes du caractère hellénique, chez Déméter et Koré, par exemple, même chez cette Athéné qui, dans un certain sens, est la plus grecque de toutes les divinités de la Grèce. Partout il reconnaît et signale des formes diverses d’un même type divin qui représente la puissance de la nature opérant dans le sol humide et nourrie par la rosée du ciel. Ce sont comme autant d’épreuves qui, pour être sorties d’un même moule, n’en ont pas moins une valeur et une beauté très inégale. Pour toutes, le moule donnait la même pose et les mêmes