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folie de la chevalerie expirante. D’Allemagne et de tous les pays de la chrétienté, quantité de princes, barons et aventuriers hautement qualifiés se rendent en Prusse au XIVe siècle, et de là en Lithuanie. Qu’ils eussent quelque souci de convertir les Lithuaniens, c’est à quoi l’on ne peut même songer : ils étaient attirés par la curiosité de voir de près cet ordre, honneur de la chevalerie, régnant sur la terre arrachée aux infidèles, et surtout par le goût de l’extraordinaire et du romanesque, par l’ambition de rapporter des pays lointains de quoi conter aux dames. Cette chevalerie, brave encore, mais pompeuse et volontiers hâbleuse, ressemblant à celle du XIIIe siècle comme la déclamation ressemble à l’éloquence, eut en Lithuanie son champ clos, dont les portes lui étaient ouvertes solennellement par les teutoniques.

Parmi les plus illustres parurent successivement en Prusse les rois Ottocar et Jean de Bohême, Louis de Hongrie, les rois allemands Charles IV, Gunter de Schwarzbourg, Ruprecht du Palatinat ; l’héroïque Bolingbroke, qui fut plus tard Henri IV, roi d’Angleterre ; le comte de Warwik, deux ducs d’Autriche, deux comtes de Hollande, le Français Boucicault, l’Écossais Douglas, et ce singulier aventurier, le poète Oswald de la Roche des Nuages (Wolkenstein), qui, n’ayant que dix ans, quitta le château paternel avec trois pfennigs et un morceau de pain dans son sac, courut à pied derrière les cavaliers d’Albert d’Autriche, gagnant sa vie à panser les chevaux et à soigner les armes : il resta huit ans en Prusse à servir dans les troupes de l’ordre, où il égayait les chevaliers par ses chansons ; puis il se mit à parcourir l’Europe et l’Asie, combattit à Nicopolis, revint en Prusse et commença ses voyages, chantant partout et combattant où il pouvait. Il fallait que ces expéditions lointaines fussent entrées dans les mœurs de tous les pays, car mainte chanson allemande commence par ces mots : « Il y avait une fois un chevalier qui alla en Prusse ; » maint conte français nous a gardé le souvenir d’un chevalier qui, pour avoir fait « le très saint passage de Prusse, » encourut une mésaventure conjugale, et le roi Charles V, qui n’aimait pas les folies et qui avait besoin de ses chevaliers contre l’Anglais, défendit d’aller en Prusse sous peine de mort.

C’était une véritable parodie de la croisade que donnaient ces croisés du XVe siècle. Guillaume IV de Hollande est allé trois fois en Prusse : la seconde fois, en 1344, il mène à sa suite trente-huit chevaliers et cinquante-cinq écuyers, des artisans et des serviteurs, parmi lesquels des hérauts, un peintre, un tailleur, un juif chargé des achats de chevaux, de draps et de fourrures. Il se rencontre avec Louis de Hongrie et Jean de Bohême, ce royal aventurier qui