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et réduite à défendre même son domaine séculaire. Mais c’est surtout dans l’histoire de la lutte entre Allemands et Slaves que la défaite de l’ordre marque une date importante. La Pologne a enfin gagné le combat pour la Pomérellie. Elle a coupé les communications entre l’avant-garde germanique et le corps de bataille. Partout, au même moment, l’Allemand recule : sur la rive droite de l’Elbe, la noblesse des duchés a reconnu le roi de Danemark pour duc de Schleswig-Holstein ; à côté des Scandinaves paraît, pour disputer à la Hanse le commerce de la Baltique, le peuple russe : les Moscovites s’emparent de Novgorod, et en face de la ville allemande de Narva s’élève Ivangorod. La Hongrie et la Bohême, enlacées dans le réseau de la politique allemande, s’en dégagent et semblent commencer avec Podiébrad et Corvin une vie nationale.

Pour l’histoire ultérieure de cette lutte de deux races, il faut que l’histoire considère avec une attention toute particulière la conduite que tint en ces conjonctures l’électeur de Brandebourg Frédéric Hohenzollern. Ici va se vérifier cette parole écrite au début de ces études, que la connaissance de cette vieille histoire est nécessaire à qui veut connaître les causes d’événemens très graves et modernes. Le Brandebourg avait enfin retrouvé ce qu’il avait perdu depuis l’extinction de la famille ascanienne, une dynastie nationale. L’héritage ascanien s’était singulièrement amoindri; mais c’était la ferme volonté des Hohenzollern de le reconstituer et de l’accroître. On se souvient que les teutoniques, au temps de leur force et de leur richesse, avaient acquis la nouvelle marche et gardé ainsi à l’Allemagne cette conquête des armes allemandes. Frédéric avait l’ambition de recouvrer ce pays menacé par la Pologne. Seul il fut dans l’infortune l’allié de l’ordre : le grand maître et le margrave se sentaient liés par la communauté de leurs intérêts; tous deux, menacés par les progrès des Slaves, étaient vraiment des patriotes allemands. Le grand maître, au moment du danger, adjura le margrave de s’honorer au regard de toute la noblesse en ne laissant point chasser les chevaliers de la terre prussienne, et le jour même où le roi Casimir déclara la guerre à l’ordre, un officier teutonique alla porter à Frédéric le traité qui lui donnait la nouvelle marche comme gage d’un emprunt de 40,000 florins. Il était temps; la propagande polonaise avait commencé là aussi ; Casimir avait promis aux villes et aux nobles la liberté comme en Pologne, et quand un député de l’ordre se présenta dans l’église de Friedeberg, où les états étaient réunis, pour leur faire ratifier la convention, nobles et bourgeois hésitèrent un instant avant de se prononcer pour la réunion au Brandebourg, c’est-à-dire à l’Allemagne.

Frédéric, faible et pauvre, ne put sauver les teutoniques. Il essaya