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prendre parti pour le plus fort contre le faible. Il ne se dissimulait pas que l’autorité n’était point en faveur, et c’est d’un acte d’autorité qu’il aurait eu besoin pour en finir tout de suite avec sa femme. Ses amis attendaient de lui plus de vigueur qu’il n’en montra d’abord. Outre la crainte du blâme et de l’impopularité qu’il ne réussit point à détourner de sa tête, outre le danger d’exposer au déshonneur le nom de la femme qu’il aimait, un fonds de bonté et de générosité le retenait encore. Mme de Pailly, qui le connaissait bien et qui eût peut-être été plus courageuse que lui, quoiqu’elle risquât davantage, signale ce trait curieux de son caractère à Mme de Rochefort : « Il n’y a que l’autorité, dit-elle, mais de la vouloir conseiller à notre ami, c’est vouloir coudre un morceau de drap à de la mousseline. Il fera bien un acte de force dans un mouvement de chaleur, mais cet acte sera isolé, n’assortira à rien ni pour le passé ni pour l’avenir. »

Les hommes, même les plus forts, sont rarement tout d’une pièce ; on ne les juge bien qu’en tenant compte des nuances. La fougue du tempérament, l’énergie apparente ne doivent point nous cacher ce qu’il y avait de bon et même de tendre dans l’âme du marquis. Admirable de dévoûment pour sa mère et pour son frère, mieux disposé pour ses enfans qu’aucun de ceux-ci ne l’était pour lui, il a été le plus fidèle et le plus sûr des amis. L’ouvrage si intéressant que M. de Loménie a consacré à Mme de Rochefort en fournit des preuves nombreuses ; l’histoire de sa liaison avec Mme de Pailly les complète par de nouveaux traits. Il y a là un de ces liens illégitimes que la société indulgente du xviiie siècle couvrait de sa tolérance, qui avait cependant besoin, pour être tout à fait accepté, de l’épreuve du temps et de la constance. L’affection et le dévoûment que les deux amis se témoignèrent jusqu’au bout leur assurèrent le respect de ceux qui les connaissaient. Mme de Pailly apporta dans ces relations de plus de trente années, avec l’agrément habituel de son commerce, la sagacité d’un esprit très net, très avisé, dont les conseils devinrent indispensables à son ami ; elle l’aida à faire face aux complications d’une existence presque toujours troublée par des soucis financiers, par des luttes domestiques, par d’interminables procès ; elle prit courageusement sa part de difficultés sans cesse renaissantes et engagea même une partie de son modeste avoir pour diminuer les charges d’une maison obérée. Le marquis, de son côté, lui témoigna la tendresse la plus attentive. Quoiqu’elle fût d’humeur enjouée, elle était sujette à des vapeurs, à des accès de tristesse involontaire qu’expliquent suffisamment l’embarras d’une situation irrégulière, le remords de la faute commise, et la difficulté de soutenir un rôle si délicat au milieu d’une famille si violente et si divisée. Le marquis eut à la