Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant que monsieur le prince gagnait Saint-Malo et s’embarquait pour Guernesey, Rohan trouva un refuge à La Rochelle. C’est de cette ville que Charlotte de La Trémoille envoya deux vaisseaux au prince à Guernesey. Condé arriva à La Rochelle en janvier 1586; il épousa, deux mois après, Charlotte de La Trémoille, qui se fit protestante. Son jeune frère, Claude de La Trémoille, qui venait de servir en Guyenne contre le roi de Navarre, se fit aussi protestant et devint, on le sait, un des compagnons les plus fidèles d’Henri IV.

René de Rohan, fugitif à La Rochelle, y mourut en 1586, à l’âge de trente-six ans. Il laissait cinq enfans au-dessous de dix ans. Voici leurs noms et l’ordre de leurs naissances : Henriette, née en 1577 (qui ne fut point mariée); Catherine, née en 1578, qui devint duchesse des Deux-Ponts; Henri, né le 21 (ou 25) août 1579, au château de Blain, celui qui doit nous occuper particulièrement, et qui devint le premier duc de Rohan; Benjamin, né en 1583, connu dans l’histoire sous le nom de Soubise; Anne, née en 1584, qui se rendit célèbre par ses poésies ; un sixième enfant, René, était mort peu après sa naissance. L’aîné des fils n’avait que sept ans quand il perdit son père; l’avenir était menaçant pour la jeune veuve aussi bien que pour tous les religionnaires de Bretagne. Ceux-ci n’avaient pas seulement perdu un chef respecté dans le héros de Lusignan. Peu de jours avant lui était mort le comte de Laval, fils de D’Andelot. Laval s’était battu en héros au combat de Saintes (1586); il y avait perdu deux frères. Lui-même, accablé de douleur et saisi de la fièvre, avait été emporté après trois jours de maladie. Son quatrième frère était mort à La Rochelle peu avant : Vitré et tous les protestans de la Bretagne pleurèrent les quatre fils de D’Andelot, qui furent inhumés à Taillebourg. La succession du comte de Laval échut à la maison de La Trémoille.

Une illustre maison, celle même dont le chef avait planté la religion sur la terre bretonne, avait été frappée de coups redoublés : une autre grande maison n’avait plus d’autres représentans qu’une femme et des enfans en bas âge. Les petites églises bretonnes restaient comme des troupeaux sans pasteur. Mme de Rohan, établie au Parc-Soubise, employa tout son temps à l’éducation de ses enfans. Les traits de caractère que nous avons déjà indiqués chez la jeune femme se décidèrent et se marquèrent tout à fait chez la veuve. Tallemant des Réaux a dit d’elle qu’elle « avait de l’esprit, et que c’estoit une femme de vertu, mais un peu visionnaire. » Il raconte qu’« elle avait une fantaisie la plus plaisante du monde : il fallait que le dîner fust toujours prest sur table à midi; puis quand on le luy servait elle commençait à escrire, si elle avait à escrire ou à