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puissant de la beauté qu’il manifeste en toutes ses conceptions, il va se rattacher directement à la Grèce ; de plus il retrouve, avec la haute et saine vision de la figure humaine, qui lui était enseignée par la statuaire antique, l’intelligence plus inattendue de la nature environnante que les Grecs ont sans nul doute possédée, mais dont le temps a fait disparaître les preuves. Ses études de paysages, si fermement construites, si hardiment colorées, n’ont d’égales que les études de Claude Lorrain, exécutées, en général, comme les siennes, d’un trait vigoureux de plume, relevé de taches de bistre. Dans ces croquis émus et hardis où la lumière, toujours abondante, se distribue avec une incomparable splendeur, on retrouve les essais et les modèles de toutes les formes que le paysage a successivement revêtus. Le paysage héroïque, le paysage poétique, le paysage familier ont été poussés à leur perfection par ce sublime amoureux des bois, des eaux et du soleil. Telle de ces esquisses semble avoir été l’inspiratrice constante de Corot, telle autre devine et prépare, à deux siècles de distance, les chefs de notre école moderne, Théodore Rousseau et Millet. Cette communauté de sensations qui relie, à travers les temps, les véritables artistes et qui leur donne une certaine marque uniforme, malgré la variété de leurs ouvrages, se révèle encore de la façon la plus charmante dans la belle série de dessins de Prud’hon, par lesquels se clôt l’histoire de l’art français. La plupart d’entre eux sont connus pour avoir déjà figuré dans diverses expositions ; mais il n’était pas mauvais qu’on les vît à côté des dessins de Léonard, de Corrège, de Luini, d’Andréa del Sarto, de tous les Italiens, pénétrés de la grâce antique et de la tendresse chrétienne, dont Prud’hon est le dernier frère. Ce voisinage redoutable n’enlève rien à la gloire du plus exquis de nos peintres, qui ferait à lui seul l’honneur d’une école.

L’exposition des dessins anciens à l’École des beaux-arts est donc en vérité une des fêtes les plus heureuses qui aient été depuis longtemps données aux artistes et aux amateurs. La méthode chronologique, résolument appliquée au classement des diverses écoles, permet à l’œil le moins exercé d’y suivre aisément les mouvemens d’ascension et de décadence de l’art dans chaque pays, autour des grands génies qui en forment les sommets. Cette méthode permet encore à l’esprit le plus confus d’en tirer ces deux conclusions qui ne sauraient être inutiles par le temps qui court ; la première, c’est que tout grand épanouissement de l’art n’est que la résultante d’une longue série d’efforts dirigés avec ensemble vers le même but ; la seconde, c’est qu’il n’est de grands maîtres que les artistes laborieux et sincères, ceux qui prennent toujours la nature pour guide et leur âme pour flambeau.

George Lafenestre.