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nécessairement à des résultats immédiats ou frappans, elle est faite pour donner à réfléchir à ceux qui s’inquiètent de tous les symptômes, particulièrement à ceux qui ont intérêt à suivre tous les mouvemens de la politique allemande ; elle crée une situation où tout peut n’être pas facile, même dans les rapports commerciaux qui auront à s’établir, où à chaque instant les divergences d’idées, de direction et d’intérêts peuvent amener des difficultés intimes qu’il est de la plus simple prudence de surveiller. En un mot, M. de Bismarck prend position à sa manière, dans la mesure de ses convenances du moment ; il prend la tête d’un mouvement de conservation politique et de protection commerciale. Son évolution d’aujourd’hui, qui n’est peut-être pas plus définitive que toutes les autres évolutions auxquelles il s’est livré dans sa vie, est du moins à l’heure qu’il est le signe d’un certain état européen qu’on ne doit jamais perdre de vue. C’est jusqu’ici toute la moralité des derniers incidens de Berlin.

Le chancelier d’Allemagne n’oublie rien d’ailleurs. Tout en défendant ses tarifs dans le Reichstag et en se créant pour son usage une nouvelle majorité conservatrice, il vient de s’occuper de l’Alsace-Lorraine, qu’il se propose de doter d’une sorte de statut organique. Il a tout dernièrement soumis au conseil fédéral un projet qui a la libérale intention d’octroyer aux récentes conquêtes de l’empire allemand une certaine autonomie politique et administrative. Les provinces d’Alsace-Lorraine sont restées jusqu’ici sous l’administration directe du chancelier, représenté par un président supérieur ; elles auraient maintenant un gouverneur géreral qui serait, dit-on, pour le début, le feld-maréchal de Manteuffel. Le nouveau gouverneur général serait un lieutenant impérial résidant à Strasbourg, ayant auprès de lui un secrétaire d’état, chef d’une sorte de cabinet, assisté d’un conseil d’état où entreraient, avec quelques membres de droit, un certain nombre d’autres membres en partie nommés par l’empereur, en partie désignés par la délégation provinciale. Cette délégation provinciale, qui représente l’élément électif, subirait elle-même, quelques modifications et serait accrue en nombre ; elle continuerait à être nommée par les conseils généraux et les conseils municipaux. C’est un petit sénat surmonté d’un ministère autonome et d’un lieutenant de l’empereur. Ces libéralités, il est vrai, sont limitées ou, si l’on veut, dominées ; par un article prévoyant qui laisse au gouverneur général les « pouvoirs extraordinaires » attribués jusqu’ici au président supérieur « en cas de danger pour la sûreté publique, » c’est-à-dire les pouvoirs conférés par l’état de siège à l’autorité militaire. C’est, on le voit, une autonomie discrète, prudemment surveillée, que le feld-maréchal de Manteuffel, par son esprit et sa bienveillance, s’efforcera sans doute d’accréditer auprès des Alsaciens-Lorrains, assez peu portés vraisemblablement à voir dans ces concessions un dédommagement suffisant. L’Allemagne