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quelques jugemens portés sur elle par son fils, qui la font connaître et aimer. Mon père souhaitait fort que le lecteur éprouvât ce dernier sentiment, et il est difficile en effet de ne pas le ressentir en lisant ses souvenirs, et plus encore sa correspondance, qui sera publiée plus tard.


II

Claire-Elisabeth-Jeanne Gravier de Vergennes, née le 5 janvier 1780, était fille de Charles Gravier de Vergennes, conseiller au parlement de Bourgogne, maître des requêtes, puis intendant d’Auch, et enfin directeur des vingtièmes. Mon arrière-grand-père n’était donc pas, quoi qu’on dise dans les biographies, le ministre si connu sous le nom du comte de Vergennes. Ce ministre avait un frère aîné qu’on appelait le marquis, le premier de la famille, je pense, qu’on ait titré ainsi. Ce marquis avait quitté la magistrature pour entrer dans la carrière diplomatique. Il était ministre en Suisse en 1777, lorsque les traités de la France avec la république helvétique furent renouvelés. Il eut plus tard le titre d’ambassadeur. Son fils Charles Gravier de Vergennes, né à Dijon en 1751, avait épousé Adélaïde-Françoise de Bastard, née vers 1760, d’une famille originaire de Gascogne, dont une branche s’était établie à Toulouse, et distinguée au barreau, dans l’enseignement du droit et dans la magistrature. Son père même, Dominique de Bastard, né à Lafitte (Haute-Garonne), avait été conseiller au parlement, et il est mort doyen de sa compagnie. Son buste est au Capitole dans la salle des illustres. Il avait pris une part active aux mesures du chancelier Maupeou[1]. Le mari de sa fille, M. de Vergennes, ne portait point de titre, ainsi qu’il était d’usage dans l’ancien régime, étant de robe. C’était, dit-on, un homme d’un esprit ordinaire, aimant à se divertir sans beaucoup de choix dans ses plaisirs, d’ailleurs sensé, bon fonctionnaire, et appartenant à cette école administrative dont MM. de Trudaine étaient les chefs.

Mme de Vergennes était une personne plus originale, spirituelle et bonne, dont mon père parlait souvent. Tout enfant il était en confiance avec elle, comme il arrive souvent des petits-fils aux grand’mères. Dans sa propre gaîté, si douce et facile, moqueuse avec bienveillance, il retrouvait quelques-uns de ses traits, comme dans sa voix juste et prompte à retenir les airs et les couplets de vaudeville, son habitude de fredonner les ponts-neufs de l’ancien

  1. On peut consulter sur la famille Bastard l’ouvrage intéressant intitulé : les Parlemens de France, essai historique sur leurs usages, leur organisation et leur autorité, par le vicomte de Bastard-d’Estang, ancien procureur général près la cour impériale de Riom, conseiller à la cour de Paris, 2 vol. in-8o ; Paris, Didier, 1857.