Régime. Elle avait les idées de son temps, un peu de philosophie n’allant point jusqu’à l’incrédulité, et quelque éloignement pour la cour, avec beaucoup d’attachement et de respect pour Louis XVI. Son esprit gai et positif, vif et libre, était cultivé ; sa conversation était piquante et quelquefois hasardée, suivant l’usage de son siècle. Elle n’en donna pas moins à ses deux filles, Claire et Alix[1], une éducation sévère et un peu solitaire, car la mode voulait que les enfans vissent peu leurs parens. Les deux sœurs travaillaient à part du reste de la maison, dans une chambre sans feu, sous la direction d’une gouvernante, tout en cultivant les arts qu’on peut appeler frivoles : la musique, le dessin, la danse. On les menait rarement au spectacle, parfois cependant à l’Opéra, et de temps en temps au bal.
M. de Vergennes n’avait ni prévu, ni désiré la révolution. Il n’en fut cependant ni trop mécontent, ni trop effrayé. Ses amis et lui-même faisaient partie de cette bourgeoisie, ennoblie par les emplois publics, qui semblait être la nation même, et il ne devait point se trouver trop déplacé parmi ceux qu’on appelait les électeurs de 89. Aussi fut-il élu chef de bataillon dans la garde nationale et membre du conseil de la commune. M. de Lafayette, dont son petit-fils devait quarante ans plus tard épouser la petite-fille, M. Royer-Collard, que ce petit-fils devait remplacer à l’Académie française, le traitaient comme un des leurs. Ses opinions suivirent cependant plutôt celles du second de ces politiques que du premier, et la révolution l’eut bientôt dépassé. Il ne se sentit pourtant nul penchant à émigrer. Son patriotisme, autant que son attachement à Louis XVI, le portaient à rester en France. Aussi ne put-il éviter le sort qui menaçait en 1793 ceux qui avaient la même situation et les mêmes sentimens que lui. Très faussement accusé d’émigration par l’administration du département de Saône-et-Loire, qui mit le séquestre sur ses biens, il fut arrêté à Paris rue Saint-Eustache, où il habitait depuis 1788. Celui qui l’arrêta n’avait d’ordre du comité de sûreté générale que pour son père. Il se saisit du fils parce que celui-ci vivait avec le père, et tous deux moururent sur le même échafaud, le 6 thermidor an II (24 juillet 1794), trois jours avant la chute de Robespierre[2].
- ↑ Mlle Alix de Vergennes a épousé quelques années plus tard le général de Nansouty.
- ↑ Voici le texte de l’arrêt du père et du fils :
Du sixième jour de thermidor de l’an second de la république française une et indivisible.
Par jugement rendu ledit jour en audience publique à laquelle siégeaient : Sellier, vice-président, Foucault, Garnier, Launay et Barbier, juges, qui ont signé la minute du jugement avec Tavernier, commis-greffier.
Sur la déclaration du jury de jugement portant que Jean Gravier, dit Vergennes, père, ex-comte, âgé de soixante-quinze ans, né à Dijon, département de la Côte-d’Or, demeurent à Paris, rue Neuve-Eustache, n" 4, Charles Gravier, dit Vergennes, âgé de quarante-deux ans, ex-noble, né à Dijon, département de la Côte-d’Or, demeurant chez son père, et autres, sont convaincus de s’être rendus les ennemis du peuple et d’avoir conspiré contre sa souveraineté en entretenant des intelligences et correspondances avec les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur de la république, en leur fournissant des secours en hommes et en argent pour favoriser le succès de leurs armes sur la territoire français, en participant aux complots, trames et assassinats de tyran et de sa femme contre le peuple français, notamment dans les journées du 28 février 1791 et 10 août 1702, en conspirant dans la maison d’arrêt, dite Lazare, à l’effet de s’évader et ensuite dissoudre par le meurtre et l’assassinat des représentans du peuple, et notamment des membres des comités de salut public et de sûreté générale, le gouvernement républicain, et rétablir la, royauté, enfin, en voulant rompre l’unité et l’indivisibilité de la république.
L’accusateur public entendu sur l’application de la loi, appert le tribunal avoir condamné à la peine de mort Jean Gravier, dit Vergennes, père, et Charles Gravier, dit Vergennes, fils, conformément aux articles 4, 5 et 7 de la loi du 23 prairial dernier, et déclaré leurs biens acquis à la république.
De l’acte d’accusation dressé par l’accusateur public le 5 thermidor, présent mois, contre les nommés Vergennes, père et fils et autres, a été littéralement extrait ce qui suit :
Qu’examen fait des pièces adressées à l’accusateur public, il en résulte que Dillon, Rousin, Chaumette et Hébert avaient des agens et des complices de leurs conspirations et perfidies dans toutes les maisons d’arrêt pour y suivre leurs trames et en préparer l’exécution. Depuis que le glaive de la loi a frappé ces grands coupables, leurs agens, devenus chefs à leur tour, ont tout tenté pour parvenir à leurs fins et exécuter leurs trames liberticides.
Vergennes, père et fils, ont toujours été les instrumens serviles du tyran et de son comité autrichien, et n’ont paru se couvrir du masque du patriotisme que pour diriger dans les places qu’ils occupaient la révolution au profit du despotisme et de la tyrannie. Ils étaient d’ailleurs en relation avec Audiffret, complice de la conspiration de Lusignan ; des pièces trouvées chez ce dernier établissent leurs intelligences criminelles et liberticides.
Pour extraits conformes délivrés gratis par moi dépositaire archiviste soussigné,
DENNY OU ANNY ?