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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/760

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un mélange de tendresse et de vivacité, qui est sensible même quand son âme se repose et ne veut rien exprimer. Mais ces momens sont rares. Beaucoup d’idées, une perception vive, une imagination mobile, Une sensibilité exquise, une bienveillance constante sont exprimées dans son regard. Pour en donner une idée, il faudrait peindre l’âme qui s’y peint elle-même, et alors Clari serait la plus belle personne que l’on pût connaître. Je ne suis pas assez versé dans les règles du dessin pour assurer si les traits de Clari sont tous réguliers. Je crois que son nez est trop gros, mais je sais qu’elle a de beaux yeux, de belles lèvres et de belles dents. Ses cheveux cachent ordinairement une grande partie de son front, et c’est dommage. Deux fossettes formées par son sourire le rendent aussi piquant qu’il est doux. Sa toilette est souvent négligée ; jamais elle n’est de mauvais goût, et toujours elle est d’une grande propreté. Cette propreté fait partie du système d’ordre ou de décence dont Clari ne s’écarte jamais. Clari n’est point riche, mais modérée dans ses goûts, supérieure aux fantaisies, elle méprise la dépense ; jamais elle ne s’est aperçue des bornes de sa fortune que par l’obligation de mettre des restrictions à sa bienfaisance. Mais outre l’art de donner, elle a mille autres moyens d’obliger. Toujours prête à relever les bonnes actions, à excuser les torts, tout son esprit est employé en bienveillance. Personne autant que Clari ne montre combien la bienveillance spirituelle est supérieure a tout l’esprit et à tout le talent de ceux qui ne produisent que sévérité, critique et moquerie. Clari est plus ingénieuse, plus piquante dans sa manière favorable de juger, que la malignité ne peut l’être dans l’art savant des insinuations et des réticences. Clari justifie toujours celui qu’elle défend, sans offenser jamais celui qu’elle réfute. L’esprit de Clari est fort étendu et fort orné ; je ne connais à personne une meilleure conversation ; lorsqu’elle veut bien paraître instruite, elle donne une marque de confiance et d’amitié. — Le mari de Clari sait qu’il a à lui un trésor, et il a le bon esprit d’en savoir bien jouir. Clari est une bonne mère, c’est la récompense de sa vie… Là séance est finie ; la suite aux élections de l’année prochaine. »

L’empereur voyait avec déplaisir cette intimité entre le grand chambellan et le premier chambellan, et l’on trouvera dans ces Mémoires la preuve qu’il chercha plus d’une fois à les désunir. Il Réussit même assez longtemps à les mettre en défiance l’un et l’autre. Mais l’intimité était parfaite précisément au moment où M. de Talleyrand tombait en disgrâce. On sait quels motifs honorables pour celui-ci avaient amené entre lui et son maître une scène Violente en janvier 1809, au moment de la guerre d’Espagne, commencement des malheurs de l’empire, et conséquence des fautes de l’empereur. MM. de Talleyrand et Fouché avaient exprimé, ou du