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d’abord sans ordre ni suite, comme les choses me reviendront. Vous pouvez vous fier à moi pour être vraie. Hier, j’étais seule devant mon secrétaire. Je cherchais dans mon souvenir les premiers momens de mon arrivée près de ce malheureux homme. Je sentais de nouveau une foule de choses, et ce que vous appelez si bien ma haine politique était toute prête à s’effacer pour faire place à mes illusions premières. »

Quelques jours plus tard, le 8 juin 1818, elle insistait sur les difficultés de sa tâche :

« Savez-vous que j’ai besoin de tout mon courage pour faire ce que vous m’avez prescrit ? Je ressemble un peu à une personne qui aurait passé dix ans aux galères, et à qui on demanderait le journal de la manière dont elle y employait son temps. Aujourd’hui mon imagination se flétrit quand elle revient sur tous ces souvenirs. J’éprouve quelque chose de pénible et de mes illusions passées, et de mes sentimens présens. Vous avez raison de dire que j’ai l’âme vraie, mais il s’ensuit que je ne sens pas impunément comme tant d’autres, et je vous assure que depuis huit jours je sors toute mélancolique de ce bureau où vous et Mme de Staël m’avez placée. Je ne pourrais du reste dire à un autre que vous mes secrètes impressions, On ne m’entendrait pas, et on se moquerait de moi. »

Enfin le 28 septembre et le 8 octobre de la même année, elle écrivait à son fils :

« Si j’étais homme, bien certainement je donnerais une part de ma vie à étudier la Ligue, mais comme je ne suis qu’une femme, je me borne à brocher des paroles sur celui que vous savez. Quel homme ! quel homme ! mon fils ! Il m’épouvante à retracer ; c’est un malheur pour moi que d’avoir été trop jeune, quand je vivais auprès de lui. Je ne pensais pas assez sur ce que je voyais, et aujourd’hui que nous avons marché, mon temps et moi, mes souvenirs me remuent davantage que ne faisaient les événemens. — Si vous venez… vous trouverez, je crois, que je n’ai pas trop perdu mon temps cet été. J’ai bien écrit déjà près de cinq cents pages, et j’en écrirai bien davantage ; la besogne s’allonge à mesure que je m’y mets. Il faudrait ensuite beaucoup de temps et de patience pour ordonner tout cela) je n’aurai jamais peut-être ni l’un ni l’autre ; ce sera votre affaire quand je ne serai plus de ce monde. »

« Votre père, écrivait-elle encore, dit qu’il ne connaît personne à qui je puisse montrer ce que j’écris. Il prétend que personne ne pousse plus loin que moi le talent d’être vraie, c’est son expression. Or donc, je n’écris pour personne. En jour vous trouverez cela dans mon inventaire, et vous en ferez ce que vous voudrez. » — « Mais savez-vous (8 octobre 1818) une réflexion qui me travaille