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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/777

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quelquefois ? Je me dis : S’il arrivait qu’un jour mon fils publiât tout cela, que penserait-on de moi ? Il me prend une inquiétude qu’on ne me crût mauvaise, ou du moins malveillante. Je sue à chercher des occasions de louer. Mais cet homme a été si assommateur de la vertu, et nous, nous étions si abaissés, que bien souvent le découragement prend à mon âme, et le cri de la vérité me presse. »

On voit par ces fragmens de lettres sous l’empire de quels sentimens les Mémoires ont été conçus et écrits. Ce n’a été ni un passe-temps littéraire, ni un plaisir d’imagination, ni l’effet d’une prétention d’écrivain, ni l’essai d’une apologie intéressée ; mais la passion de la vérité, le spectacle politique que l’auteur avait sous les yeux, l’influence d’un fils chaque jour mieux affermi dans les opinions libérales qui devaient faire le charme et l’honneur de sa vie, lui ont donné le courage de poursuivre cette œuvre pendant plus de deux années. Elle avait compris cette noble politique qui place les droits des hommes au-dessus des droits de l’état. Ce n’est pas tout. Comme il arrive aux personnes fortement attachées à Une œuvre intellectuelle, tout s’animait et s’éclairait à ses yeux, et jamais elle n’avait mené une vie si active. A travers les maux d’une santé chancelante, elle venait sans cesse de Lille à Paris, jouait le rôle d’Elmire, du Tartuffe, à Champlatreux chez M. Molé, s’occupait d’un ouvrage sur les femmes du XVIIe siècle, qui est devenu son Essai sur l’éducation des femmes, donnait des notes à Dupuytren pour un éloge de Corvisart, publiait même une nouvelle dans le Lycée français[1].

Au milieu du bonheur complet que lui donnaient le repos de la vie et de l’activité d’esprit, les succès administratifs de son mari, et les succès littéraires de son fils, sa santé fut gravement atteinte, d’abord par une maladie des yeux, qui, sans menacer absolument la vue, devint pénible et gênante, puis par une irritation générale dont la muqueuse de l’estomac était le principal siège ; après quelques alternatives de crises et de bien-être, son fils la ramena à Paris le 28 novembre 1821, très troublée, très souffrante, dans un état inquiétant pour ceux qui l’aimaient, mais qui ne paraissait pas aux médecins présenter un danger prochain, Broussais seul était sombre sur l’avenir, et frappa dès ce jour, mon père par cette puissance d’induction à laquelle il a dû ses découvertes et ses erreurs. Les premiers temps de son retour furent pourtant occupés par elle aux travaux de littérature et d’histoire, aux conversations politiques qui réunissaient près d’elle un grand nombre d’hommes

  1. Lycée français ou mélange de littérature et de critique, t. III, p. 281 (1820).