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barricades à peine détruites, interrogé, examiné, se disant que, s’il était arrêté et fouillé, il serait immédiatement fusillé comme voleur, il put enfin parvenir, dans le faubourg Saint-Germain, chez un administrateur de l’Assistance publique qu’il connaissait. Il était là en lieu d’asile. Avec un soupir de soulagement, il se débarrassa de ce dépôt compromettant, volontairement accepté, et que l’on vérifia. Les banknotes, les bons de dollars américains, les titres de rente italienne, les bijoux, les pierreries qui remplissaient la sacoche représentaient au moins la valeur inscrite. Pour Louis Guillemois, c’était une fortune ; l’idée de se l’approprier n’effleura même pas sa conscience. Que faire ? Avertir l’autorité militaire, la préfecture de police, c’était se dénoncer comme fonctionnaire de la commune et s’exposer à une arrestation certaine, à une longue détention préventive, à bien des misères, à bien des périls. On prit un parti moins dangereux et tout aussi sûr : on alla trouver un notaire, Me Deschars, et l’on fit entre ses mains un dépôt régulier de ces valeurs, qui furent un peu plus tard transmises à M. Dufaure, alors garde des sceaux, afin que le légitime propriétaire pût rentrer en possession. Or nul ne soupçonnait que Louis Guillemois, détenteur de ce sac précieux, l’eût gardé et sauvé pendant les dernières péripéties de la lutte. Il a fait là, secrètement, pour lui-même, pour la satisfaction de sa propre dignité, un acte de probité que les circonstances ont rendu méritoire et qui ne devait pas être passé sous silence.

J’aurais aimé à en raconter d’autres ; s’il s’en est produit, je les ignore, et je doute qu’ils aient été fréquens, car pendant la commune, Paris ressemblait à une maison envahie par les termites, tout y était rongé. Il n’y a si mince fédéré, si minime employé qui n’ait voulu sa part du butin et qui ne l’ait trouvée. Sous prétexte que l’on était en guerre et qu’il était patriotique de se conduire révolutionnairement, on dévalisait les maisons, et tous ces révoltés, encouragés par l’impunité, entraînés par leurs mauvais penchans naturels, étaient devenus des voleurs. « La maison voisine de ma résidence, dans l’avenue de l’Impératrice, écrit M. Washburne, a été pillée samedi dernier ; on a emporté jusqu’aux hardes personnelles du portier. » J’ai vu plus d’une fois des bataillons fédérés revenir des avant-postes ; les hommes étaient munis de paquets qui n’avaient point été conquis sur l’armée de Versailles. Quand l’homme rentrait au logis, la femme lui disait invariablement : Qu’est-ce que tu rapportes ? La plupart des maisons brûlées furent d’abord déménagées. On a incendié la cour fies comptes, mais on l’avait préalablement dévalisée. Aujourd’hui encore, les feuilles d’émargement signées de noms connus et enlevées aux archives de la cour par quelque fédéré prévoyant se vendent sans mystère. Les amateurs