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et il avait sous ses ordres le chef de bataillon François Laurent, qui méritait bien d’être un des officiers supérieurs de la commune, car il avait été condamné en 1848 à deux ans de prison pour escroquerie, à six mois en 1853 pour abus de confiance, à quinze mois pour le même motif en 1856, à trois mois en 1857 et à deux ans en 1873. C’est cette dernière condamnation qui permit à la justice militaire de s’occuper sérieusement de lui. Ragowski, Robichon et Laurent n’hésitèrent pas à penser que Philbert était coupable, et comme le temps des demi-mesures était passé, ainsi que disait le commissaire de police Audebrand, ils assemblèrent la cour martiale. Philbert fut très courageux et très simple. Il expliqua que la mission tout administrative dont il était chargé par la compagnie d’Orléans ne touchait en rien à la politique ! qu’il n’était pas plus responsable qu’un facteur qui porte des lettres ; qu’il était marié, qu’il avait cinq enfans et qu’il s’en fiait, non pas à l’indulgence, mais à la loyauté du tribunal. A l’unanimité, il fut condamné à mort, — sans appel, — exécution immédiate. Philbert réclama un prêtre, parce que, disait-il, « je veux remettre mon âme à notre Père qui est aux cieux. » On sourit de sa naïveté, et on lui avait déjà répondu que l’on ne pouvait accéder à son désir, lorsqu’un des juges dit : « Il y a un curé dans les casemates. » En effet, le même jour, un des vicaires de Vitry avait été arrêté et amené au fort. Le prêtre écouta le condamné et lui imposa les mains. Devant le peloton d’exécution, Philbert découvrit sa poitrine et demanda à commander le feu. On lui répondit : « Tu nous embêtes ! » Il cria : Vive Versailles ! et tomba. C’est en cela surtout que consista la défense du fort d’Ivry. Le surlendemain 25 mai, Delescluze expédia à Ragowski l’ordre de faire sauter le fort. Les quatre poudrières furent reliées l’une à l’autre par des mèches incendiaires que les fédérés allumèrent vers cinq heures du soir. Une des poudrières éclata presque instantanément ; les débris des murailles projetés en l’air et retombant éteignirent les mèches ; on en fut quitte pour la destruction d’une courtine et de onze casemates[1]. Au moment où les insurgés évacuèrent le fort, on y comptait une garnison de deux mille trois cent quarante et un hommes dont cent douze officiers, et un armement de quarante pièces d’artillerie, dont trois mortiers, trois obusiers et neuf mitrailleuses. Il faut être reconnaissant à ceux qui, pouvant tenir longtemps dans une position abritée et redoutable, ont préféré l’abandonner sans combattre.

Trois pièces olographes permettent de dire que ce qui se passait au fort d’Issy n’était point une exception et d’affirmer que des faits

  1. Procès Robichon et Eyraud ; déb. contr., quatorzième conseil de guerre, 9 octobre 1872. — Procès Laurent, Girard et Bernard ; déb. contr., troisième conseil de guerre, 31 décembre 1873.