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peu de temps, lui disait-il en mars 93, je vous les offre de bon cœur. Si nous voulions nous en donner la peine et nous asseoir à notre aise sur un territoire un peu libre, je crois que nous commanderions facilement à l’opinion publique et que nous aurions une grande influence même sur la direction des cabinets. Il faudrait d’avance nous dresser de bonnes et sûres correspondances afin d’avoir à la fois le mérite de la vigueur pour persuader, et celui de la nouveauté pour les faits. » Ce projet, Montlosier essaya de le réaliser en Angleterre, quand il y fonda le Courrier de Londres.

Mallet ne put rejoindre le maréchal de Castries ; il se rendit à Bruxelles, où il fit paraître le plus connu de ses ouvrages : Considérations sur la nature de la révolution, ouvrage qui souleva parmi les émigrés une véritable tempête.

Montlosier s’était arrangé pour que son ami eût auprès de lui tous les agrémens possibles. Il l’avait mis en rapport avec l’abbé de Pradt, avec Rivarol, avec le chevalier de Panat et le comte François de Sainte-Aldegonde. Mais les écervelés les plus inconsciens ne parlèrent rien moins que de le pendre après la contre-révolution. Montlosier fut averti d’éviter la promenade du parc où se trouvaient habituellement ces étourdis.

Mallet était curieux comme un enfant de toutes les figures des émigrés ; il demanda précisément d’aller se promener au parc. Ne voulant pas laisser outrager un de ses amis, Montlosier s’achemina avec lui, décidé à repousser la violence par la violence. Ils entrèrent ainsi dans la promenade, Montlosier lui donnant le bras et enfonçant de temps en temps son chapeau pour bien faire comprendre qu’il était décidé à relever toute insulte. Il y eut quelques rires, quelques chuchotemens, mais rien de plus.

Malouet arrive de son côté. Lui aussi manifeste aussitôt le désir de se rencontrer à la promenade avec ces fous d’émigrés, comme il les appelait. Montlosier prit les mêmes précautions ; mais tandis que Mallet avait un extérieur rude, Malouet avait tant de grâce dans les manières, quelque chose de si bienveillant et de si indulgent pour tout le monde, que tout le monde le fut pour lui.

L’aversion des émigrés pour toute espèce de système constitutionnel n’était pas seulement affaire de coterie ; l’impulsion venait de plus haut. Les brochures qui fondirent sur Mallet étaient communiquées à M. le comte d’Artois. Une lettre du chevalier de Guer, une autre de l’abbé Talbert, en réponse à l’auteur des Considérations, mirent Montlosier dans une vive colère. Mallet était représenté, avec Necker, comme un des meilleurs amis des jacobins. « Laissez-les dire ! avait déjà répondu Mallet, faisant allusion à sa courageuse rédaction du Mercure, alors qu’il habitait Paris, —