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de la diversité de leurs intérêts et de l’inégalité de leurs lumières, mais une représentation intelligente, propre à assurer partout les meilleurs choix. Pour appuyer par un exemple précis le principe posé par M. Bluntschli, la double expérience qui a été faite en France depuis 1848 du scrutin de liste et du scrutin uninominal a prouvé que le premier est plus favorable à la qualité des élus, qu’il donne à la représentation nationale, abstraction faite de toute opinion politique, un niveau plus élevé. C’est donc le scrutin de liste qui devrait être préféré.

M. Bluntschli croit qu’une grande armée permanente est incompatible avec l’existence d’une république démocratique. L’exemple de l’Amérique semble autoriser cette opinion. Sera-t-elle infirmée par l’exemple de la France ? C’est un point sur lequel aucune raison déterminante ne permet encore de se prononcer et qui ne pourra être résolu que par l’expérience. La question est d’ailleurs plus générale et elle peut se poser, non-seulement pour tout gouvernement républicain ou démocratique, mais pour tout gouvernement libre. L’exemple de l’Amérique semble autoriser également cette autre affirmation de M. Bluntschli que, dans une république démocratique, l’état s’occupe plus difficilement des intérêts supérieurs de l’art et de la science. « La raison commune, dit-il, les comprend moins clairement, à moins que le peuple ne soit arrivé à un haut degré de civilisation. » Ces derniers mots corrigent ce qu’il y a peut-être de trop absolu dans la proposition première et permettent de concevoir, au moins à titre d’exception, une démocratie intelligente sachant se maintenir, par ses propres efforts, à un niveau toujours élevé dans toutes les manifestations de la pensée, de l’imagination et du goût.

M. Bluntschli reconnaît en revanche que les institutions utiles au plus grand nombre, les établissemens de bienfaisance, les écoles populaires, les routes et tous les travaux d’intérêt général, trouveront dans une démocratie les conditions les plus favorables. Il termine ainsi son étude sur cette forme de gouvernement qui, sans avoir ses préférences, paraît lui inspirer une sincère sympathie : « Le sentiment d’une mâle liberté a dicté la constitution et y a trouvé son expression ; il élève les nombreuses classes moyennes, développe l’intelligence par l’exercice direct ou indirect des affaires publiques et fortifie les caractères. L’amour de la patrie y trouve une large base et, dans les crises, les citoyens se montrent prêts à tous les sacrifices ; mais cette forme est moins favorable au développement des natures d’élite ; le peuple les voit souvent avec méfiance et hostilité. Cependant celles-ci même s’attireront l’estime et la confiance, si elles ne blessent pas le sentiment de l’égalité par d’orgueilleuses prétentions et si elles savent lutter de zèle et de