dévoûment pour le bien public avec les meilleurs des démocrates. » Voilà un noble idéal et de sages conseils qui se recommandent à l’attention de toute démocratie fédérative ou unitaire.
Si l’établissement d’une république démocratique dans un grand état fortement centralisé, tel que la France, est sans précédent, une monarchie fédérative, telle que l’empire allemand, est une nouveauté bien plus extraordinaire encore. Toutes les conceptions politiques édifiées par le raisonnement ou consacrées par l’expérience y reçoivent des démentis. C’est une confédération sans égalité ; entre ses membres ou plutôt avec une égale dépendance de tous ses membres à l’égard d’un seul qui, par sa puissance propre et par les droits supérieurs qu’il s’est réservés, concentre tout en lui. C’est un ensemble de monarchies où tous les souverains sont des sujets, à l’exception du roi de Prusse, empereur d’Allemagne, qui exerce une double souveraineté sur la plus grosse des parties et sur le tout. C’est enfin une monarchie constitutionnelle où manquent presque toutes les garanties des gouvernemens libres. M. Bluntschli ne dissimule pas ce qu’il y a de monstrueux dans une telle organisation. Il la juge cependant avec un optimisme qui fait contraste avec sa sévérité pour la nouvelle république française. S’il reconnaît, que « les compétences réciproques ne sont pas nettement déterminées, » il se hâte d’ajouter « qu’elles ont été laissées à dessein dans un certain vague. « Il trouve d’ailleurs une garantie de bon accord dans l’omnipotence du conseil fédéral, dont les décisions sommaires ; « sauvegardent à la fois l’unité du tout et l’indépendance des parties, préviennent les conflits ou permettent de les résoudre. » Le conseil fédéral aurait-il bien une telle puissance s’il était autre chose qu’un instrument docile aux mains de l’empereur et de son tout-puissant chancelier ?
La glorification ou l’apologie du gouvernement prussien, voilà partout le côté faible du livre de M. Bluntschli ; mais ce n’est pas par là qu’il offre le moins d’intérêt. Sans les parties mêmes où L’Allemagne n’est pas en jeu, nous avons eu à signaler plus d’une théorie contestable à côté d’aperçus ingénieux ou profonds ; mais, comme nous l’avons dit en commençant, alors même qu’il appelle la discussion et la controverse, ce livre fait penser, il nous force à réfléchir sur des questions auxquelles, moins que jamais il nous est permis de rester indifférent dans l’état d’incertitude et d’instabilité où sont tombés partout le droit public et le droit international. M. Bluntschli ne résout pas toutes ces questions, mais il les éclaircit, il sait les envisager sous tous leurs aspects et en démêler la complexité. Il mérite d’être lu et médité par tous ceux qu’intéresse la politique et que n’effraie pas un peu de philosophie.
EMILE BEAUSSIRE.