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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/111

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assurément puissante, généreuse, cordiale, devenu populaire par la libéralité de son âme, et qui a mérité, — au jour des funérailles, de réunir tous les partis dans ce petit village du Loiret où il est mort, — au jour des commémorations plus durables, d’être placé, seul de ses contemporains, en face de Malesherbes, dans cette grande salle du Palais de Justice où le marbre de Chapu le fait revivre entre l’éloquence et la fidélité sous cette fière invocation : forum et jus !

Que reste-t-il, dit-on souvent, de ces fascinateurs de la parole, quand ils ont disparu ? Que reste-t-il de Mirabeau lui-même et de bien d’autres ? Il n’y a plus dans ce qu’ils ont laissé, il est vrai, ni l’accent, ni le geste, ni le feu du regard, ni la passion du moment, qui animait tout. Il reste pourtant de ces hommes tout ce qu’ils ont conquis, tout ce qu’ils ont popularisé. Il reste de Berryer ces discours, ces plaidoyers qui sont moins décolorés qu’on ne le dit, qui font partie de l’histoire du temps, et qui sont aussi comme les mémoires d’une vie tout entière passée à la lumière du jour, au service public, — d’une vie qui se déroule, de 1815 à 1868, à travers quatre ou cinq régimes différens entrecoupés de révolutions. C’est le cadre d’une grande existence marquée d’une singulière unité morale.


I

Ce n’est ni par sa naissance, ni par une tradition de famille, ni par sa première éducation que Pierre-Antoine Berryer a été conduit à se faire un jour l’orateur des royautés en détresse. Il n’était pas un homme des vieilles races ; il ne se rattachait même, je crois, par aucun lien de parenté au Berryer qui avait été lieutenant de police et ministre sous Louis XV. Il était né en pleine et forte bourgeoisie parisienne en 1790. Comme tous ceux avec qui il s’est trouvé si souvent en lutte, comme Thiers, comme Dupin, comme Barrot, il était le fils de la révolution française, et plus d’une fois il s’est plu à rappeler avec une mâle et simple fierté qu’il était lui aussi d’une origine plébéienne, qu’il datait de 1789. Sa mère était d’une famille dont le chef avait marqué dans la justice commerciale. Son père, formé à l’école du disert et brillant Gerbier, était lui-même un avocat de mérite qui a vécu assez dans le nouveau siècle pour se voir éclipsé par un glorieux fils et qui a laissé d’intéressans souvenirs. On l’a vu jusqu’après 1830 plaider encore malgré ses quatre-vingts ans, avec ses longs cheveux blancs flottant sur sa robe à la vieille mode. Libéral de 1789, mais modéré d’opinions, le père de Berryer n’avait pas traversé sans péril ces crises révolutionnaires où essayer de disputer la vie d’un accusé était souvent un crime.