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le drame des passions, des opinions religieuses et politiques, se déroule au grand jour, et où les épisodes judiciaires, les procès se mêlent aux débats publics dont ils ne sont souvent que l’écho ou le prolongement ! Berryer, éloigné du parlement par son âge, restait pour le moment tout entier au barreau, grandissant au milieu de ces luttes, où il a eu souvent des émules sans avoir jamais d’ennemis.

Avocat brillant et recherché, il portait dans le tourbillon des affaires la séduction d’une nature supérieure qui savait être à la fois aux études du cabinet, aux réunions de société et aux plaisirs des arts. Il vivait surtout dans le monde royaliste, auquel il se rattachait par ses relations, dont il était l’orateur ; mais, en vivant dans ce monde, il échappait à ses tyrannies, à ses préjugés, et même, dans les causes royalistes qu’il avait à couvrir de sa parole, il restait l’homme du droit, des garanties libérales. Il était royaliste sans doute en même temps qu’avocat, il n’avait rien d’un juriste de parti ou de cour, — et le palais qu’il a toujours le mieux connu, le plus fréquenté, je le crois bien, a été le Palais de Justice. Un de ses cliens de cette époque était Lamennais, qui se faisait poursuivre pour l’excès de ses opinions ultramontaines, pour ses attaques contre l’église gallicane et la déclaration de 1682. Lamennais, à vrai dire, était moins encore un client qu’un ami pour Berryer à qui il confiait ses intérêts, ses pensées, ses projets de travail et ses colères contre la révolution dont il voyait partout les progrès. Berryer ne manquait pas devant la justice à l’orageux auteur de l’Indifférence en matière de religion, qui, un jour de 1825, lassé ou irrité de tout, lui écrivait de La Chesnaie avec une affectueuse mélancolie : « Que nous serions bien ici, loin du tumulte et de l’ennui de ce monde au milieu duquel vous vivez ! Qu’il serait doux de philosopher ensemble et de voir de loin ces tempêtes et ces naufrages de la politique dont le spectacle est trop près de vous ! .. Mais les affaires, mais le devoir vous retiennent là où vous êtes. Je vous plains de ce travail, je voudrais l’alléger et je contribue pour ma bonne part à en aggraver le fardeau… » Lamennais avait un moment rêvé pour son ami, — et il le dit dans sa Correspondance, — je ne sais quel rôle d’orateur sacré dans une sorte de croisade dont il aurait été, lui, le philosophe. Berryer n’était pas l’homme de ce rôle, et il ne se plaignait pas du travail : il était l’homme des affaires, de la vie animée, du palais et du monde. Là il brillait au premier rang, défendant Lamennais pour sa liberté de prêtre, la famille de La Chalotais pour son honneur, M. Michaud, le journaliste de la Quotidienne, pour son droit menacé par le ministère Villèle, les plus humbles comme les plus illustres cliens pour leurs intérêts.

Berryer était alors pour les royalistes ce que d’autres étaient