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c’était peut-être justement ce qu’il y avait d’extraordinaire. Ce qui l’avait tenté, c’était cette occasion offerte à un royaliste de défendre indirectement la vieille tradition monarchique en opposant à la révolution de 1830 son propre principe, la souveraineté nationale couronnée autrefois sous le nom de Napoléon, les souvenirs de l’empire réhabilités et exaltés par le régime de juillet lui-même. Seul entre tous, Berryer pouvait prendre cette attitude hautaine d’un défenseur mettant en cause au profit de son client le gouvernement qui venait de décréter le retour triomphal des cendres impériales, embarrassant les juges qui, après avoir tout reçu, titres, honneurs, des mains de Napoléon, avaient maintenant à prononcer sur le sort du neveu de Napoléon. « Soyons courageux, s’écriait-il, disons tout avant de juger. S’il y a eu un crime, c’est vous qui l’avez inspiré par les sentimens dont vous avez animé les Français, et, entre tout ce qui est français, l’héritier de Napoléon lui-même… Vous faites allusion à la faiblesse des moyens, à la pauvreté de l’entreprise, au ridicule de l’espérance du succès. Eh bien ! si le succès fait tout, vous qui êtes des hommes, qui êtes même des premiers de l’état, je vous dirai : Il y a un arbitre inévitable, éternel entre tout juge et tout accusé. Avant de juger, devant cet arbitre et à la face du pays qui entendra vos arrêts, dites-vous, sans avoir égard à la faiblesse des moyens, le droit, les lois, la constitution devant les yeux, la main sur la conscience, devant Dieu, devant le pays, devant nous qui vous connaissons, dites : S’il eût réussi, s’il eût triomphé, ce droit, je l’aurais nié, j’aurais refusé toute participation à ce pouvoir… — Moi, j’accepte cet arbitrage suprême, et quiconque, devant Dieu, devant le pays me dira : S’il eût réussi, je l’aurais nié, ce droit ! celui-là je l’accepte pour juge… » Le fait est qu’il y a bien eu quelques-uns de ces juges de 1840 qui ont assez vécu pour être sénateurs du second empire. Ce n’était pas moins une étrange audace, dans un tel moment, de venir dire à des hommes, les « premiers de l’état : » Vous voyez cet accusé ! Moi qui le défends dans le malheur, je suis tranquille, il ne m’aura jamais parmi ses courtisans dans la fortune ; vous qui allez le juger et le condamner, s’il avait réussi, vous seriez à ses pieds, — et s’il réussissait un jour, vous seriez ses serviteurs !

Après cela, j’en conviens, Berryer se donnait commodément le beau rôle dans ses prévisions injurieuses comme dans la discussion des intérêts publics, au parlement comme au barreau. Il n’avait pour le gêner que l’embarras du passé de son parti, et quand on le lui opposait, il se dérobait habilement. Il n’avait pas le poids, la responsabilité des affaires, et dans la campagne qu’il menait en toute indépendance, il ne tenait pas toujours compte des difficultés