Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« pèlerinage de Belgrave-Square. » Berryer, qui avait été un des « pèlerins, » sans se croire un conspirateur, ressentait vivement l’auront et relevait le défi avec une véhémente fierté ; il répondait au vote de « flétrissure » par une démission retentissante, bientôt suivie d’ailleurs de sa réélection à Marseille. Qu’avait-on gagné ? L’incident avait été pénible pour tout le monde ; il s’était compliqué de scènes violentes qui avaient réveillé toutes les passions, qui avaient mis le chef du cabinet lui-même, M. Guizot, et Berryer directement en présence dans un émouvant duel de tribune. Évidemment le ministère avait eu une inspiration malheureuse. Le « pèlerinage de Belgrave-Square » avait été une manifestation un peu importune, dans tous les cas plus sentimentale que sérieusement politique ; le vote de a flétrissure, » arraché à une chambre troublée, dépassait la mesure, et à l’égard d’un acte d’inoffensive ostentation et à l’égard des hommes qui y avaient pris part, surtout à l’égard de celui qui, « flétri » et réélu, restait encore la force et l’honneur du parlement.

La méprise était d’autant plus grave qu’à cette époque Berryer pouvait être toujours un adversaire de foi, de principe, il n’était pas réellement un ennemi implacable. Il ne fatiguait pas de contestations mesquines un gouvernement qui représentait la France dans le monde ; il lui aurait plutôt prêté quelquefois un secours désintéressé dans les questions d’un ordre social ou national. Il n’avait pas hâte de voir des ruines nouvelles, et si la monarchie de 1830 était menacée désormais, elle l’était moins par de vaines démonstrations de parti que par une sorte de fatigue intérieure, parce mal que Lamartine avait appelé « l’ennui, » qui frappait l’esprit méditatif de Tocqueville, dont Berryer lui-même parlait en disant à propos de la réforme électorale : « Je ne veux pas agiter, je ne veux pas jeter d’alarmes,… mais qu’apercevez-vous autour de vous ? Dans les classes de la société française qui sont étrangères à toute participation aux droits politiques, que fermente-t-il ? C’est l’histoire du genre humain dans toutes les sociétés. On monte de classe en classe ; les sommités s’effacent et disparaissent, et les classes inférieures arrivent au sommet. La bourgeoisie, la classe moyenne, elle a conquis la première place ; elle a l’ascendant, elle domine, mais elle est d’autant plus pressée par les classes inférieures qui montent à leur tour, chez qui le sentiment du droit de concourir à la chose publique se développe chaque jour. Croyez-le, c’est un avertissement sincère que je vous donne. »

Chose curieuse en effet ! elle avait déjà passé plus de quinze ans, cette libérale monarchie de 1830, à livrer et à gagner des batailles, à repousser des assauts, assauts de tribune et assauts à main