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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/133

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et il la sentait avec feu, avec d’exquis raffinemens. Son beau visage rayonnait à l’audition de quelque morceau de Mozart, et il lui est arrivé de se préparer à ses plus beaux plaidoyers, à la défense de Chateaubriand, qu’il devait prononcer le lendemain, en allant passer la soirée à entendre la Malibran ou la Posta, il a été toute sa vie l’ami de Rossini.

Il avait une autre passion : c’était Augerville, vieille démence à quelque distance de la forêt de Fontainebleau, vieille terre à demi abandonnée quand il l’avait acquise en 1824, et depuis renouvelée, embellie par lui. Il avait tout refait, les jardins, les cultures, il avait transformé le parc à travers lequel coule l’Essonne. Là, aux jours de l’été, se succédaient les visiteurs de toute sorte, aimables personnes du monde, hommes politiques, magistrats, artistes, poètes, recevant une libre et familière hospitalité à laquelle présidait, tant qu’elle vécut, Mme Berryer, femme intelligente et dévouée, glorieuse des succès de son brillant mari. Tous les ans, Augerville voyait arriver pour quelques jours Eugène Delacroix le peintre, qui était un cousin de Berryer et qui avait autant d’esprit dans ces réunions d’élite que de puissance dans son art. Alfred de Musset y allait aussi parfois, il y a eu des hôtes sans nombre, jusqu’à cette visite des jours plus éprouvés que M. de Falloux a racontée et où il était lui-même avec M. Thiers, Montalembert, l’évêque d’Orléans. Que de conversations tour à tour sérieuses ou étincelantes, libres, spirituelles, éloquentes, toujours animées, les salons et le parc d’Augerville ont entendues aux beaux temps d’autrefois ! Berryer, dans l’éclat de sa virilité et de ses succès, se plaisait à cette vie ; il s’y reposait dans d’intervalle des agitations de la chambre et du palais, prêt à s’élancer à des luttes nouvelles pour si cause, pour toutes les causes qu’il croyait pouvoir défendre sans se manquer à lui-même.

Était-ce dans le fond un ennemi bien dangereux que ce galant homme au cœur loyal, à la parole éclatante, qui alliait à la fidélité des souvenirs un sentiment si vif des traditions françaises ? Était-ce surtout un ennemi tel qu’il pût paraître utile d’essayer de l’abattre ou de l’atteindre dans la dignité de sa situation ? Le gouvernement de 1830 avait triomphé ou du moins semblait avoir triomphé des plus graves épreuves ; il n’avait plus besoin de se défendre par des démonstrations de force ou par des représailles. Un jour vint cependant, au commencement de 1844, où un ministère destiné à être le dernier de la monarchie de juillet, croyait devoir provoquer dans le parlement une sorte d’arrêt de « flétrissure » contre quelques députés légitimistes qui étaient allés visiter M. le comte de Chambord à Londres, contre ce qu’on appelait alors le