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l’Angleterre par des moyens différens rend aujourd’hui le même service aux indigènes.


V

Ces colonies, maintenues avec de si grandes difficultés et défendues à si grands frais, offrent-elles par les richesses qu’elles rendent une compensation suffisante ? Sur cette question encore le doute est permis. M. Trollope nous présente dans son livre, province par province et pour ainsi dire étape par étape, les résultats du travail colonial : certes ces résultats ne sont pas à dédaigner ; cependant, à tout prendre, ils sont de ceux qui n’admettent pas le dithyrambe. Les richesses de l’Afrique australe sont grandes, mais ces richesses sont pour ainsi dire latentes, la plupart étant encore et devant rester longtemps inexploitées. Sauf dans les parties depuis longtemps habitées de la colonie du Cap, la population, éparse sur un trop vaste territoire, est réduite aux efforts d’un travail individuel sans sécurité et sans assistance suffisantes ; les centres de population pouvant servir de marchés sont trop faibles et séparés par de trop grandes distances, les moyens de transport sont rares et ruineux. Voyager dans l’Afrique australe lorsqu’on s’éloigne de la pointe méridionale est presque impossible ; M. Trollope nous a conté par le menu son odyssée, et il faut avouer que la tâche accomplie mérite l’épithète d’héroïque. La terre reste sans culture en partie par la fatalité du climat, en partie par l’insuffisance de bras. Brûlée par un soleil de feu, capricieusement et rarement rafraîchie par des averses brusques, violentes et rapides, aussitôt séchées que tombées, elle n’est naturellement fertile que par places, et c’est à ces places que l’agriculteur, toujours soucieux d’un rapport certain et à brève échéance, s’attaque de préférence. Pas de culture sans eau ; il le sait bien, le boer, dont le premier soin, dès qu’il a découvert le puits nécessaire à ses besoins, est de faire construire à proximité de ses bâtimens une digue qui lui permette d’arrêter les eaux des pluies ; par ce moyen, il arrose dix, quinze, vingt acres, à peine quelques atomes, laissant le reste de ses immenses fermes à l’état de friche ou de pâturage. Pour que l’irrigation eût toute l’étendue nécessaire, il faudrait de grands travaux d’art qui permissent de capter, d’emmagasiner les eaux et de les distribuer à travers les campagnes. C’est dire que cette entreprise devrait être nationale et faite à frais communs par les colonies ; maison tout pays les ingénieurs coûtent cher, et en si bon état que soient leurs finances, elles ne sont pas cependant tellement prospères que les colonies puissent se permettre un tel luxe de dépenses. Dans la colonie du Cap, 80,000,000