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seule raison qu’ils pèsent moins lourdement sur le contribuable, lequel est censé les payer sans s’en apercevoir, quoiqu’il s’en aperçoive fort bien et tout le long du jour ? Pensera-t-on que le chancelier de l’empire, qui a peu de foi dans les panacées, voie dans le nouveau tarif douanier un moyen infaillible de faire prospérer l’industrie et l’agriculture, et qu’il soit absolument sûr de son fait lorsqu’il affirme que le renchérissement du blé n’entraîne pas toujours le renchérissement du pain et que de forts impôts sur la bière ont pour effet immanquable de rendre la bière meilleure ?

L’Allemagne n’était guère satisfaite de sa situation économique, elle sentait quelque embarras dans ses affaires, elle s’en prenait un peu à ses gouvernant, à l’usage qu’ils avaient fait de l’indemnité de guerre, à autre chose encore ; mais surtout elle trouvait qu’elle avait trop d’impôts à acquitter, que ses charges étaient trop pesantes, et si on lui avait offert d’alléger son fardeau par une réduction du budget militaire, il est probable que cette proposition aurait été bien accueillie. Livrée à ses seules réflexions, à ses propres inspirations, il est douteux qu’elle eût cherché dans le relèvement du tarif douanier un remède à ses souffrances, et les libéraux assurent que l’agitation protectionniste qu’on a vu se manifester tout à coup était un peu factice, qu’il y avait quelque part un souffleur, que les pétitionnaires avaient travaillé avec leur teinturier. L’art de questionner, qui était la moitié du génie de Socrate, est cultivé aussi avec succès par certains gouvernemens, qui au surplus n’ont pas d’autre ressemblance avec le fils de Sophronisque. Quand on s’adresse aux intérêts particuliers et qu’on leur dit : — Vous sentez-vous suffisamment protégés ? — on est à peu près sûr qu’ils répondront : — Vous avez raison, nous ne le sommes pas assez. — Il leur faudrait une vertu presque sublime pour se dérober à l’obligeante sollicitude qu’on leur témoigne, et les intérêts ne se sentent pas appelés à donner au genre humain des leçons de vertu, ce n’est pas leur métier. Dites aux fabricans de fer : « Vos profits sont maigres ; la main sur la conscience, convenez-en. Cela tient à ce que les fers étrangers entrent en franchise. Est-ce que votre sort ne serait pas meilleur si nous établissions à nos frontières une taxe d’un mark au moins par 100 kilos de fonte ? » Les fabricans de fer ne se feront pas trop prier pour en convenir, et cependant on ne saurait s’apitoyer beaucoup sur la situation des maîtres de forges allemands, quand il est prouvé par les rapports officiels qu’en Allemagne l’excédant de l’exportation de la fonte sur l’importation s’est élevé, dans ces douze dernières années, de 500,000 quintaux à près de 8 millions. Dites aux agriculteurs : « La concurrence étrangère vous tue, vos affaires vont de mal en pis, la terre ne vous paie pas de vos sueurs et de vos peines. » Les agriculteurs répondront aussitôt par la bouche de M. de Thüngen, grand propriétaire bavarois, que