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M. Lucien Paté ne chante pas précisément sa province, mais à l’occasion, il chante à sa manière la grande patrie, ses tristesses et ses gloires. Son nom a été plusieurs fois applaudi à la Comédie-Française à l’occasion de quelques stances sur Molière et sur Corneille dites en 1876 pour leur anniversaire par MM. Coquelin et Maubant. Dans une Ode à Lamartine d’un accent ému et vibrant, dite par Mlle Favart lors de l’inauguration de la Statue du grand poète à Mâcon, M. Paté a dignement célébré son illustre compatriote :

La tombe s’est ouverte, et la mort rend sa proie.
Parmi nous pour toujours te revoilà vivait.
Ton berceau s’illumine, et ta ville avec joie
Donne encore une fois le jour à son enfant.
Mais l’enfant cette fois n’est plus l’enfant fragile :
C’est l’homme au front superbe, au geste souverain,
Qui, laissant au tombeau sa dépouille d’argile,
Se lève tout à coup fait de gloire et d’airain.


Ces vers nous montrent à quelle école se rattache M. Paté. Il aime les classiques, il en cultive la forme châtiée et sévère. Lamartine et Vigny sont ses maîtres, et nous aurions peine à retrouver chez lui l’influence de Victor Hugo, de Musset et moins encore celle de M. Leconte de Lisle. Sa poésie alterne familièrement entre les tendresses et les rêveries discrètes du jeune homme et les aspirations viriles d’un patriotisme qui, pour être contenu, n’en est que plus fervent et plus profond. Se souvenant d’un voyage où, enfant encore, il suivît son père en exil, il peint avec éloquence cette émotion qu’on éprouve en quittant pour la première fois le sol natal. Devant la splendeur même du Léman et du vaste horizon alpestre qui se déroule au bout du Jura, il comprend pour la première fois la beauté de la patrie absente et, oubliant les merveilles qui l’éblouissent, il voue son cœur « à la France aux frontières sacrées. » Pourquoi, dans ses tableaux champêtres empreints d’une grâce un peu féminine, le poète nous donne-t-il si rarement la sensation particulière du paysage bourguignon ? Ce sentiment patriotique a besoin de se confondre avec le culte du sol natal, et la poésie gagnerait toujours en force comme en vérité en y mêlant le goût du terroir. L’auteur des Mélodies intimes est d’ailleurs plus tourné vers le dedans que porté à s’épanouir au dehors. Son individualité se dessine surtout dans les pièces courtes dont l’allure chantante et musicale rappelle ou le lied allemand, ou le song anglais, ou si l’on veut l’ancien lai français, lequel est tout autre chose que la chanson moderne. Voici par exemple quelques strophes qui dans leur simplicité donnent la note juste d’un sentiment vrai :

Au doux éclat de ton visage,
Comme au rayon du firmament,