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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/282

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Kazan était sacré tsar par des kosaks dans une grange de l’Iayk, l’autorité militaire donnait avis de son évasion dans tous les endroits où on le supposait caché. Quand on apprit qu’il s’était montré aux environs d’Iaytzky, des compagnies furent dépêchées à ses trousses : Pougatchef et ses complices leur échappèrent, passant d’un lieu à l’autre, augmentant d’heure en heure leur petite bande. — Cependant des bruits étranges commençaient à circuler : affirmations vagues, dénégations plus vagues encore, histoires surprenantes contées à mi-voix au marché ou à la veillée, tous les symptômes de ce trouble d’idées si caractéristique qui accompagnait et préparait dans les campagnes russes l’avènement d’un imposteur. Parmi les nombreux kosaks arrêtés par les troupes, il y avait un certain Michaël Kojevnikof ; amené à la chancellerie du commandant et mis à la question, cet individu fît les aveux suivans :

Au commencement du mois de septembre, son voisin Zaroubine était venu le trouver et lui avait révélé sous le sceau du secret qu’un personnage d’importance se cachait dans le pays. Kojevnikof ayant consenti à recevoir ce mystérieux personnage dans sa ferme, Zaroubine repartit et revint à cheval au milieu de la nuit, ramenant un inconnu. C’était un homme de taille moyenne, maigre et large d’épaules. Sa barbe noire commençait à grisonner. Il portait la coiffure bleue des Kalmouks, était vêtu d’un camelot de poil de chameau et armé d’une carabine. Zaroubine se rendit à la ville pour annoncer la nouvelle au peuple. L’inconnu, resté seul avec Kojevnikof, lui révéla qu’il était l’empereur Pierre III ; les bruits qui couraient sur sa mort étaient faux ; sauvé par un officier des gardes, il avait gagné Kief, puis Constantinople ; il en était revenu pour combattre en secret dans les rangs de l’armée russe durant la dernière guerre ; de là il était passé dans le pays du Don ; pris à Tsaritzine, des kosaks fidèles l’avaient mis en liberté ; l’année précédente, se trouvant à Iaytzky, il avait été repris et dirigé sur Kazan ; une sentinelle, achetée par un marchand, l’avait de nouveau délivré ; revenu à Iaytzky et instruit par une vieille femme de la sévérité qu’on apportait à l’examen des passeports, il s’était caché au désert jusqu’au moment où Zaroubine l’avait amené chez Kojevnikof. A la suite de cette histoire, le soi-disant empereur avait dévoilé ses projets. Il était résolu à se manifester, avec l’appui des troupes kosakes, au rassemblement pour les pêcheries d’automne ; il s’emparerait de l’ataman, marcherait droit sur Iaytzky, prendrait cette place, et de là se jetterait en Russie, certain d’entraîner le pays tout entier à sa suite ; il installerait partout de nouveaux tribunaux, « car il avait constaté de grandes iniquités dans la distribution actuelle de la justice, » et replacerait sur le trône Mgr le grand-duc. « Pour